J’ai eu de la chance, j’ai réussi à aller découvrir l’exposition de la Bibliothèque d’Agglomération du Pays de Saint-Omer (BAPSO) la veille de sa fermeture Je ne regrette jamais mon passage à la BAPSO parce que les expositions permettent de se plonger dans les ouvrages plus ou moins anciens des collections et surtout le lieu de l’exposition…
… la salle patrimoine ! une pièce avec des rangées de livres sur les murs et les fameuses échelles que l’on déplace d’une travée à l’autre !
Aglaopé, Molpé, Thelxinoé, Annah Kellermann, Hannah Fraser ou Ariel, qu’ont-elles en commun ? Être des sirènes ! Réelles, fictives, mythologiques, elles sont partout. Mais qu’en est-il réellement ? Existent-elles vraiment ?
Alors, vous êtes prêts pour découvrir comment a été considéré la sirène à travers les siècles ? Eh bien, allons-y !
Commençons par le début, mais qu’est-ce qu’une sirène ?
De nos jours, les sirènes sont de belles femmes avec une queue de poisson. Elles sont souvent la représentation de la séduction et continuent de hanter l’imaginaire depuis la nuit des temps.
La sirène est une figure incontournable de la culture populaire avec La petite sirène, dessin animé sortie en 1989 de Walt Disney. Le dessin animé est librement inspiré du conte danois de Hans Christian Andersen. Mais cela ne l’empêche pas d’être considéré comme un être fictif au même titre que le Yéti, la licorne ou encore le dragon. La cryptozoologie a cherché à en débusquer l’origine légendaire.
Si aujourd’hui, il est établi qu’une sirène est un être hybride mi-femme mi-poisson, cela n’a pas toujours été le cas notamment durant l’Antiquité. Mais surtout son existence en tant que monstre ou animal suscite des débats, des discussions. Les textes anciens sont nombreux que se soit par le biais des épopées, des témoignages de marins ou de « traité d’histoire naturelle », jusqu’au portrait-robot que l’on essaye de dresser dans les encyclopédies médiévales.
La plus ancienne apparition des sirènes se trouve dans l’Odyssée attribué à Homère, épopée écrite au 8e siècle avant J.C. Sur les conseils de Circé, Ulysse fait boucher les oreilles de ses compagnons avec de la cire afin de maintenir le cap pendant le chant des sirènes. Ulysse se fera attaché au mât afin d’assouvir sa curiosité sans succomber au chant. Ce chant homérique constitue la seule source d’informations sur ces êtres dont l’apparence physique n’est pas précise. C’est la céramique grecque qui va fixer l’apparence des sirènes comme étant des êtres hybrides avec un corps d’oiseau et une tête de femme.
Voici une traduction française du chant d’Homère, issue d’une édition du début du 16e siècle :
« Viens, Ulysse fameux, gloire éternelle de la Grèce
Arrête ton navire afin d’écouter notre voix !
Jamais aucun navire noir n’est passé là
Sans écouter de notre bouche de doux chants.
Puis on repart, charmé, lourd d’un plus lourd trésor de science
Nous savons en effet tout ce qu’en la plaine de Troie
Les Grecs et les Troyens ont souffert par ordre des dieux,
Nous savons tout ce qui advient sur la terre féconde… »
La sirène est présente dès l’Antiquité avec le récit d’Homère et l’épisode d’Ulysse et des sirènes. Elles mènent les marins à leur ruine en les emmenant dans les fonds marins après les avoir attirés avec leurs chants. Chants et musiques des sirènes suscitent des débats. Elles sont régulièrement représentées par trois avec chacune une fonction : l’une joue d’un instrument à cordes, une autre avec un instrument à vent et la dernière chante les mains vides. L’interprétation du chant a plusieurs versions ; le plaisir sensuel, une ode à la gloire du héros orgueilleux ou offrande similaire à celle du Démon ?
Le folklore dans les contrées reculées et les pays nordiques est très riche. Dans Historia de gentibus septentrionalibus d’Olaus Magnus au 16e siècle, nous y retrouvons une gravure comportant un monstre ressemblant aux sirènes. Car comme elle, il jour d’un instrument de musique, une cithare, et il a la faculté de déclencher des tempêtes.



Dans certaines versions mythologiques, les sirènes vaincues se suicident en plongeant dans la mer. Une légende lie même la fondation de la ville de Naples aux sirènes, la ville serait liée au tombeau de l’une d’entre elles : Parthénopé.
La représentation de ces sirènes se jetant dans la mer à trouver son succès dans le traité de Vincenezo Cartari au 16e siècle. Il existe une hypothèse quant à la transformation des sirènes mi-femme mi-oiseau au sirènes mi-femme mi-poisson : la chute dans les eaux aurait généré l’apparition des queues de poisson ! La gravure évoque cette transformation et se lit un peu comme une BD, à l’arrière-plan les sirènes sont encore oiseaux alors qu’au premier plan elles sont à moitié poisson 😊

Alors que chez Ovide, dans Les Métamorphoses, les sirènes étaient les compagnes de Proserpine. Cette dernière a été enlevée par le dieu des Enfers. Ainsi pour partir à la recherche de la déesse disparue, les sirènes auraient volontairement acceptées de se changer en oiseaux.

Les sirènes ont été pour certaines dotées de noms propres (Ligeia, Aglaopé, Pisinoé) et associées à des caractéristiques physiques (jeunesse, voix, claire, blancheur). Cet aspect monstrueux des sirènes pourrait, selon certains auteurs comme Apollonios de Rhodes, être le résultat d’une punition divine.
Les différentes histoires sur les sirènes laissent apparaître des questions qui seront posées pendant plusieurs siècles : sont-elles des humaines transformées en monstre ? Combien étaient-elles ? A quoi ressemblaient-elles ? Que chantaient-elles ?
Les créatures suscitent toujours une certaine fascination et sont toujours l’objet d’études et de classification. C’est le cas de Bernard de Montfaucon qui inventorie les monstres et dieux qui sont sujet à l’idolâtrie. Il se base sur des textes et des objets issus de collections particulières et institutionnelles. Dans son ouvrage, les sirènes sont décrites à nouveau avec des ailes et des plumes et sont classées dans le chapitre consacré aux oiseaux mythiques, telles les Harpies. Alors qu’au 17e siècle, dans l’encyclopédie de Conrad Gesner, les sirènes et autres poissons anthropomorphes sont classés avec les poissons.


N’ayant pas une allure définitive, les sirènes ont souvent été confondues avec d’autres créatures marines plus ou moins monstrueuses et dangereuses. Voici plusieurs exemples de ces créatures proches des sirènes au point de semer le doute.
Les Néréides forment le cortège de Poséidon. Elles sont régulièrement représentées avec des jambes humaines et parfois avec des écailles de poissons. Quand il n’y a pas de légende explicative, il est souvent difficile de différencier les deux.
C’est le cas aussi du triton qui devient le pendant masculin des sirènes et des Néréides. Ce que nous appelons un triton s’applique à un type de monstre marin pourvu d’une queue de poisson. A l’origine, Triton est le fils du dieu Poséidon et de la Néréide Amphitrite.
Un autre monstre marin qui est souvent associé à la sirène, je nomme Scylla ! Dans le récit d’Homère, son chant vient juste après celui de l’épisode des sirènes. D’après Ovide, il s’agit d’une Néréide transformée par Circé par jalousie. Scylla se cache dans un rocher et fait face au typhon Charybde. Elle est représentée sous la forme d’une jeune femme au corps surmonté de têtes de loups ou de chiens et avec une queue de dauphin. Ces deux créatures, Scylla et Charybde, sont souvent représentées sur les cartes marines et sont souvent sujets à la peur pour les marins.

Durant l’Antiquité, les sirènes n’ont pas le beau rôle car elles tentent les marins et son représentées sous un aspect qui n’est pas à leur avantage. Mais cela ne s’arrête pas avec le Moyen Âge où elles sont diabolisées. Elles sont rangées aux côtés des créatures maléfiques que sont les bêtes fauves, les démons, les onocentaures (mi-homme mi-âne) et les hérissons dans la Bible de Septante (version grecque de l’Ancien Testament entre le 3e et 2e siècle avant J.C). Dans la Vulgate (version latine), la sirène descend dans l’échelle des monstruosités. Il y a même des ajouts à la liste : le dragon, les autruches, les monstres poilus et les chouettes.
La présence des sirènes dans la Bible tend à être une preuve de leur existence. Elles vont ainsi être sujetes à discussion. Les scientifiques et les religieux cherchent à fixer leur apparence, décrites comme des « espèces de dragons pourvus de crêtes ». Elles sont aussi associée dans le Bestiaire à la race des serpents tout comme le dragon. Pour un non-initié, il est difficile de faire la différence entre les sirènes et les serpents, surtout avec la symbolique chrétienne qui s’ajoute par-dessus. La sirène à queue de poisson supplante ainsi au Moyen Âge la sirène-oiseau antique.
Le motif de la sirène se développe dans le domaine des arts, c’est pour cela que vous pouvez la retrouver sur les chapiteaux sculptés des églises romanes. Dans la sculpture romane, la sirène est représentée avec deux queues. Cette représentation peut faire référence à la luxure par l’écartement impudique des deux queues qui révèlent le bas-ventre de la sirène.
Chez Vincent de Beauvais, la sirène est doublement hybride : elle possède à la fois les attributs de la sirène -poisson mais elle est également dotée d’ailes et parfois même de serres !
De nombreux textes issus des sciences naturelles vont y présenter les sirènes parce qu’au Moyen Âge, la religion est présente dans tous les moments de la vie quotidienne, autant dans les textes bibliques que dans la nature.
C’est dans le Liber monstrorum qu’est faite la première mention d’une sirène à queue de poisson. Le passage à la sirène-poisson s’explique de plusieurs manières : la confusion avec les autres êtres marins, l’écho du folklore nordique où la femme de la mer est très présente. Sans oublier la symbolique et la plastique de la sirène-poisson. La partie du corps sous forme de poisson est cachée dans les flots permet d’illustrer plus facilement les péchés de la tromperie, de la dissimulation et de la luxure. Malgré cela, la sirène-poisson ne signe pas la fin des sirènes-oiseaux parce qu’elles continuent à être représentées.


La lecture chrétienne d’un monde marin équivalent au monde terrestre a permis l’invention de deux autres monstres marins en plus de la sirène : le « moine de la mer » et l’ « évêque de la mer ». Ils sont mentionnés dans les différents bestiaires médiévaux et sont censés prêcher la bonne parole sous la surface des eaux. Leurs apparences s’inspirent probablement de vrais calamars. La gravure de leurs portraits est popularisée par deux naturalistes français rivaux du milieu du 16e siècle : Pierre Belon et Guillaume Rondelet. Devenant populaires au point parfois d’éclipser la figure de la sirène dès qu’il s’agit d’évoquer le monstre marin à forme humaine (anthropomorphe).




La sirène est souvent représentée sous la forme d’un hybride, être à moitié humain et à moitié animal. Chaque partie ayant une symbolique propre : la partie animale évoque la sauvagerie. Tandis que la partie humaine, le plus souvent le buste et dénudé, représente la beauté et la séduction. D’autres significations peuvent être évoquées en fonction de la représentation de la sirène. Si la sirène porte des bijoux et tient un miroir, c’est la coquetterie et la luxure, assimilant la créature à la prostituée.
Une interprétation religieuse est régulière durant le Moyen Âge. Il s’agit d’une comparaison entre le voyage en mer et le chemin que l’âme emprunte vers le Salut. L’eau est considérée comme un élément négatif avec un manquement d’informations sur les profondeurs, amenant à la conclusion que les dangers de la mer et les monstres marins dont font partie les sirènes représentent les écueils du péché que doivent éviter les navigateurs.
Pas si loin de l’idée du péché, le physique de la sirène ne plaide pas en sa faveur. Sa laideur d’ailleurs peut renvoyer à la laideur morale, à la laideur de l’âme. Ce physique laid est même présent dans un traité médical diffusé dans la deuxième moitié du 15e siècle, Hortus sanitatis. Elles y sont décrites comme d’horribles créatures avec des cheveux « puants ».
Mais si nous regardons les représentations, les enluminures, elles sont plutôt souvent représentées comme de belles créatures.
Dans l’Atlas minor de Mercator, nous pouvons y découvrir une gravure représentant la Création divine et le Salut des hommes. Derrière les Trois Parques (figures mythologiques ayant le contrôle sur la vie humaine, d’où les fuseaux et les ciseaux tenus dans leurs mains), sur la droite, est représenté un monstre volant. Celui-ci n’est pas une sirène à proprement parler mais représente ici la représentation à deux queues que nous avons évoqué plus haut dans l’article, sachant qu’ici il s’agit de queues de serpent et de scorpion. Cette partie est particulièrement appréciée par les artistes autant pour des raisons symboliques ou de manière purement ornementale. La forme ondoyante permet de se fondre facilement dans les motifs décoratifs qu’ils soient végétaux ou architecturaux.


Deux approches des monstres marins coexistent.
Dans la pensée chrétienne, les monstres marins sont créés en même temps que les poissons, c’est-à-dire au 5e jour de la Création. AU 17e siècle, plusieurs poissons sont dignes d’émerveillement, il s’agit de : l’évêque de la mer, des tritons, des sirènes et des baleines. Malgré cela, l’existence des monstres restent une question à part entière notamment en ce qui concerne l’épisode du Déluge dans l’Ancien Testament. Est-ce que les sirènes sont montées à bord de l’arche ? Étant donné que ces monstres ressemblent aux hommes, ont-ils eux aussi une âme ? Voici deux questions sur lesquelles se penchent les théologiens avec des réponses qui varient de l’un à l’autre.
La deuxième approche est considérée comme plus concrète. L’apparition des monstres pourraient inspirer les interprétations par la divination connu sous le nom de tératomancie. Dans les chroniques manuscrites ou imprimées, nous pouvons y retrouver la liste des catastrophes naturelles, des enfants difformes et autres monstres. Ils deviennent de véritables énigmes à décrypter, reflétant les péchés des hommes et délivrant des messages divins.

Notons que les espèces dites monstrueuses étaient réputées pour vivre dans les contrées lointaines et mystérieuses comme le Sri Lanka, les « Indes », l’Afrique et plus particulière l’Ethiopie. Les grandes explorations du 15e siècle vont amener une évolution dans la perception de la sirène. Si avant, elle possédait une connotation morale et sensuelle, cela n’est plus le cas à partir du 17e siècle, elle ne fait plus peur aux marins et il serait même possible d’en manger, selon les dires !
L’exposition à la BAPSO exposait l’un des premiers ouvrages sur le Nouveau Monde paru dans le monde musulman. Il s’agit d’une première édition d’un imprimé musulman avec des illustrations, ce qui rend l’ouvrage remarquable. Il s’agit du livre intitulé Tarih i Hind i Gardi d’Emir Mehmet Ibn Hasan el-Suudi. Les gravures s’inspirent des enluminures manuscrites et témoignent de la croyance en l’existence de sirènes et de tritons peuplant les contrées comme le montre la gravure suivante.

Depuis l’Antiquité, l’existence des sirènes est remise en question. Dès la Renaissance, le poids des traditions légendaires, les mensonges des « poètes » construisant des êtres hybrides amènent à une véritable remise en question. On classe ainsi la sirène dans la catégorie des animaux considérés comme merveilleux voire douteux.
Johannes Prüss édite un ouvrage exposant des remèdes de la nature tirés des plantes, des minéraux et des animaux, sous le nom de Hortus sanitatis (Jardin de santé), qui aura une version latine au 15e siècle. L’ouvrage dresse également la liste des créatures dangereuses. Concernant la sirène, il est indiqué qu’il est possible de leur échapper en jetant une bouteille vide pour la distraire ! Les illustrations présentes dans l’ouvrage n’ont aucune valeur scientifique mais permettent de se repérer parmi les différents chapitres.

Dès le 17e siècle, les raisonnements biologiques prennent le pas sur les hypothèses qui ont été réalisé dans le passé. Par exemple, il pourrait s’agir d’une malformation congénitale, la fusion des jambes donnant l’illusion d’une queue de poisson. Buffon, dans son Histoire naturelle, rapproche les sirènes des phoques, lamantins et dugongs.

La sirène va finir reléguée au titre de fables au 18e siècle mais elle reste une source inépuisable pour les artistes qui représentent le monde imaginaire marin qui est de plus en plus diversifié. Cet attrait pour les légendes donne naissance à plusieurs œuvres littéraires avec pour personnage central une héroïne aquatique. Par exemple, le conte Ondine écrit par le baron Friedrich de la Motte-Fouqué en 1811, ou encore Den lille Havfrue d’Hans Christian Andersen, plus connu en France sous le nom de La petite sirène, datée de 1837. En 1858, Jean-Georges Kastner, fait paraître en préface d’un opéra, un traité regroupant toutes les sources dédiées aux sirènes, les inscrivant dans un vaste folklore du monde aquatique. Dans les arts plastiques, le portrait de la sirène reste trouble. Elle peut être à la fois représenté en tant que femme avec une apparence hybride sans interprétation. Ou alors, c’est sa symbolique sur la séduction en tant que menace qu’elle va incarner, prenant la forme de nos peurs, de nos rêves et de nos fantasmes.

Voilà le petit tout dans cette exposition, qui a été riche de découvertes en ce qui me concerne, est fini. J’espère que cela vous a donné envie de vous pencher dans les vieux ouvrages, ou sur la thématique riche de la sirène 😊
Quel est votre avis sur la sirène et les autres marins ? Ont-ils existé ? Faut-il les reléguer à la mythologie et aux légendes ?
Voici le lien pour découvrir la BAPSO : https://www.bibliotheque-agglo-stomer.fr/
A bientôt pour de nouvelles découvertes !
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