Direction le Louvre-Lens pour la nouvelle exposition temporaire qu’Elicec attendait avec impatience, celle sur les animaux fantastiques ! Eh oui, j’ai toujours eu un attrait (ou du moins cela fait déjà un moment parce que je suis incapable de me rappeler depuis quand je suis fascinée par ces créatures !) pour les créatures fantastiques quelles qu’elles soient. Je m’en rends compte par exemple quand je regarde des sujets de peintures je vais plus facilement être attirée par les tentations de saint-Antoine, les œuvres de Hieronymus Bosch. Alors vous imaginez bien l’envie de voir cette exposition.
Cela commence bien car le visiteur est accueilli par une petite créature animée, toute mignonne …

…ce squelette de chimère a été réalisé par la troupe de théâtre Cendres la Rouge pour le Museum national d’Histoire naturelle en 2006. Mais quand on regarde avec quoi ce squelette a été réalisé, peut-être que vous n’avez pas envie de poursuivre : corps de porcelet, d’un crustacé et des nageoires de rougets.
Mais cette chimère représente ce qui va être collectionné dans les cabinets de curiosités dès le 16e siècle : êtres hybrides, espèces disparues ou encore des êtres totalement créés pour en mettre plein la vue.
Ce qui indique que la perception des animaux fantastiques que nous avons a toujours évolué au fil du temps et continue de nos jours. Ces animaux nous fascinent toujours autant 😊
D’ailleurs connaissez-vous quelques animaux fantastiques ?
Dragon, griffon, sphinx, licorne, phénix … et d’autres !
Nous disions qu’ils nous fascinent encore aujourd’hui, la preuve ils sont partout : les films, les dessins animés ou encore les objets du quotidien. Hybride ou non ils restent impressionnants tant dans le côté positif que négatif. Exemple avec le dragon : impressionnant et effrayant comme dans Le Hobbit de Tolkien ou effrayant et attentionné comme Krokmou dans Dragons
Autre exemple qui a évolué au cours de l’histoire : les sirènes. Effrayantes dans l’Antiquité et aujourd’hui nous pensons plus facilement à Ariel dans La Petite sirène de Walt Disney. (Si vous voulez en savoir plus sur la perception de la sirène à travers le temps, je vous invite à lire l’article à ce sujet : https://danslespasdececile.blog/2023/10/15/creatures-mythiques-ou-reelles/)
Les questions qui sont posées juste après notre petite créature sont les suivantes : qui sont-elles ? d’où viennent-elles ? que signifient-elles ?
Des questions pertinentes car elles sont associées à des choses réelles comme la nature ou des notions telles que la sauvagerie ou la sagesse. Cependant, leur physionomie est de l’ordre du surnaturel parce que le corps de ces créatures est souvent issu de la fusion de plusieurs animaux réels et il est le reflet des pouvoirs que la créature détient. Souvent, ces créatures ont des pouvoirs issus des éléments de la nature : eaux tempétueuses, rafales colériques, tout comme les terres nourricières.
Les premiers animaux imaginaires sont retrouvés dans des grottes du Paléolithique supérieur (entre 40 000 et 9 600 avt. J.C) mais pour voir apparaître ceux qui nous sont familiers il faudra attendre les murs ornés du Néolithique (entre 6 000 et 2 300 avt. J.C) comme les dragons ou les griffons. Lorsque les premiers États vont être créés (4e millénaire avt. J.C) leurs représentations vont se multiplier et figurer sur des objets prestigieux. Des sceaux-cylindres ou encore des palettes à fard ont été retrouvés en Iran, en Mésopotamie et en Égypte.





Parmi les animaux fantastiques, le griffon a traversé les âges, ce qui n’est pas le cas de l’aigle à tête de lion par exemple.
Il est très difficile, en l’absence de texte, de les interpréter mais à partir du 3e millénaire avant Jésus-Christ, les textes associent ces animaux aux grands cataclysmes tels que les tremblements de terre, les tempêtes et les inondations. Ils incarnent notre terreur vis-à-vis de la nature et de ses débordements ainsi que le respect qui en découle.
« Le Dragon s’ébroue et prend son envol : à Lui l’horizon rouge, sa bannière, le vent en avant-garde et la pluie drue pour escorte. Riez d’espoir sous la crépitation de son fouet lancinant : l’éclair » (Victor Ségalen, Stèles occidentées, 1912)


L’art occidental possède comme socle la mythologie et les récits bibliques mais pas seulement ! D’autres récits, aujourd’hui oubliés ont probablement inspirés et gardent quelques échos dans les récits qui sont arrivés jusqu’à nous.

« Un dragon est noué autour du globe, et souffle et hurle ; le tumulte s’est fait monstre ; voilà la mer » (Victor Hugo, Les Misérables, 1862)
Nous évoquions que des créatures fantastiques émanaient les débordements de la nature mais c’est en oubliant qu’ils incarnent, depuis l’Antiquité, les forces sauvages que le héros tente de maîtriser. Le héros, toujours avec une apparence humaine, finit par dompter ou ter la créature à l’issue du combat, donnant naissance à une nouvelle ère de tranquillité. Avec le christianisme, ces notions de lutte entre le bien et le mal sont redéfinies et les combats avec un dragon comme opposant font écho aux conflits entre Dieu et le diable.

Les mythes grecs sont en partie un héritage du monde mésopotamien et anatolien (équivalent de la Turquie). Le poète grec Hésiode raconte notamment le combat entre Zeus et Typhon, qui est une créature hybride à têtes de dragons. Mais il ne s’agit pas des seuls combats contre des créature hybrides, vous pouvez ajouter Héraclès, Jason qui luttent contre un dragon, contre l’hydre de Lernes ou encore une Chimère. Les récits bibliques sont aussi la scène de combats épiques contre les dragons comme saint-George ou saint-Michel.
Les premiers récits mythologiques ont été mis par écrit en Mésopotamie (Irak actuel) vers le 3e millénaire avant Jésus-Christ, tout en inspirant les peuples voisins. Les Cananéens (qui peuplaient la région correspondant aux pays actuels que sont la Syrie, le Liban, Israël et la Palestine) ont adopté certains de ces monstres tandis que les Grecs ont empruntés à la mythologie orientale, qui vont ensuite influencer les auteurs latins puis occidentaux.





Un de mes coups sont cette gravure d’Albrecht Dürer, L’Apocalypse : la Femme vêtue de soleil et le dragon à sept têtes ainsi que ce dessin de Gustave Moreau représentant Saint Michel terrassant le dragon selon une copie de Raphaël






Saint George terrassant le dragon est un sujet très présent chez les artistes de toutes les époques et quel que soit le support choisi (toile, pierre) comme le prouve la présence d’autres exemples dans cette section.


Sur ce détail du tableau, suis-je le seule à y voir une tête de dragon dans l’arrière plan rocheux rouge ?

Mais revenons à ces récits orientaux qui ont influencé les textes occidentaux. Ces récits relatent la lutte des héros divins comme Ninurta, Ningirsu et Marduk. Ils sont en lutte avec des créatures telles que Asag, qui est un démon qui s’accouple à la montagne, au Tiamat, qui est la déesse des eaux salées primordiales, et dont la progéniture déferle sous la forme de serpents monstrueux et d’hybrides hommes-animaux.
A l’Ouest de la Mésopotamie c’est le duel des serpents marins contre Baal ou Teshup qui est raconté. Ce combat perdure dans la Bible sous la forme de la lutte contre Dieu et le Léviathan.

Un autre coup de cœur c’est la Grand Goule, qui apparaît au 6e siècle dans les souterrains de l’abbaye Sainte-Croix de Poitiers, qui vient d’être fondée par la reine Radegonde. Elle entre dans les souterrains avec l’objectif de dévorer les religieuses de l’abbaye. Sainte Radegonde la pourchasse et l’abat par une malédiction et un signe de croix.

Cette représentation en bois à une gueule articulée, des ailes de chauve-souris, un corps de reptile, des serres d’aigle, une queue de scorpion et une langue de vipère. Cette effigie en bois était promenée pendant la procession des Rogations (qui a lieu juste avant l’Ascension) afin de garantir les récoltes et les protéger contre les forces du mal.
Il ne faut pas oublier non plus que depuis très longtemps, l’animal fantastique peut être un attribut en lui-même. C’est-à-dire qu’il peut aider à l’identification d’une divinité ou d’un saint. Ainsi ils ne sont pas toujours confronté aux héros dans les récits bibliques ou mythologiques.
Le christianisme change la perspective du héros qui réussi à vaincre la créature fantastique marquant le début d’une ère plus calme, maîtrisée. Cela se transforme en lutte entre le bien et le mal, le mal étant souvent représenté par le Dragon ou la Bête. Selon saint Jean, le Dragon n’est autre que le serpent originel qui a précipité l’homme dans sa chute. Le Dragon est Satan est lui-même. Ainsi, de nombreux saints vont devenir sauroctones, ce qui veut dire des saints « tueurs de dragons » et seront souvent à l’origine de cultes locaux populaires.

Un tableau qui m’a beaucoup plu de regarder et de partir à la recherche des détails cachés dans les méandres des plans est celui de Louis Bréa, intitulé Prédelle du retable de sainte Marguerite d’Autriche.

Allez-vous y retrouver les détails suivants ?




Outre leur apparence physique reconnaissables, les créatures fantastiques ont, comme nous l’avons déjà souligné, des pouvoirs. Ceux-ci peuvent leurs permettre de contrarier la nature, de provoquer des événements surnaturels uniquement avec leur volonté, leur colère ou tout autre émotions. La dernière possibilité est l’utilisation du pouvoir par le biais de rituels.
Nous pouvons prendre un exemple mésopotamien présenté : le démon Pazuzu. Lui était attribué les vents chauds et poussiéreux du sud de la Mésopotamie qui pouvaient provoquer de graves maladies nerveuses, des troubles intérieurs ou des insomnies. Il est reconnaissable parce qu’il a de grands yeux exorbités, d’épais sourcils, les ailes du nez bombées et des canines menaçantes. Un autre de ses pouvoirs est celui d’avoir la possibilité de repousser son épouse, Lamashtu, qui est responsable de la mort des bébés et des accouchés. A ce titre, les effigies de Pazuzu se multiplient parce qu’elles prennent une fonction protectrice.
Alors que pensez-vous de ce démon Pazuzu ?

« Je suis Pazuzu, fils de hanbu, le roi des démons Lilû ; j’ai gravi les montagnes les plus puissantes, elles tremblèrent ; les vents contraires allant en direction de l’ouest, je brisai leurs ailes » (texte inscrit en écriture cunéiforme dans le dos de la statuette)
Une autre vitrine attire vite l’attention, c’est celle avec le masque provenant de Guinée, en Afrique. Il peut être regardé de deux manières différentes et notre perception change. En le regardant de face, c’est un visage plutôt humain qui nous fait face alors qu’en le regardant de côté, c’est un corps composé de multiples animaux connus : un peu de serpent, d’antilope, de caméléon et de crocodile. Ce casque était porté horizontalement sur la tête du danseur afin d’attirer la protection.

Les rituels ont très vite été assimilés par les hommes qui vont les mettre en pratique afin d’éloigner la maladie ou la mort. Ainsi les créatures hybrides peuplent les objets magiques tels que les amulettes, les masques, les pierres et les ivoires magiques ou encore les statuettes. Autrefois effrayant, désormais ils deviennent des alliées contre la maladie, pour assurer une bonne naissance ou une bonne récolte. Les pouvoirs qui détournent le mauvais sort sont appelés « apotropaïques », mais pour cela il faut opérer des gestes précis qui se transmettent oralement ou dans les bibliothèques savantes. Mais une chose est sûre, la magie concerne tout le monde dans la pyramide sociale.

Le masque sur la droite de la photographie est appelé masque Ciwara kun (« tête de fauve des cultures » en bamana). Il est composé de plusieurs animaux : pattes d’aryctérope (mammifère fouisseur africain), des cornes de gazelle et un museau de fourmilier. Ces animaux sont liés à la terre pour les Bamana (sud du Mali) et sont utilisés lors des cérémonies agraires. Le masque est posé sur un bonnet en osier et le danseur fait mine de creuser le sol pour l’ensemencer. C’est en reproduisant les gestes des animaux sculptés qu’il favorise la fertilité pendant le rituel.

Voici un sceptre-ouas qui est un des symboles les plus anciens et fréquents de l’Égypte antique. La base du sceptre est divisé en une fourche aux bouts incurvés (comme les bâtons utilisés pour neutraliser les serpents). Cette partie est souvent stylisée avec la tête d’un animal ; certains l’interprète comme étant la tête de l’animal sethien, d’autres comme une tête de canidé. Peu importe son interprétation, l’animal représente la domination et donne un caractère sacré à l’objet.

Sur le camée de gauche, vous pouvez apercevoir que l’animal représenté est un phénix. Son origine est probablement égyptienne, il serait fondé sur les représentations du bénou, qui est un oiseau divin représentant la faculté du soleil de renaître chaque matin. Au 5e siècle, l’auteur Hérodote décrit un oiseau rouge et or, qui sont les couleurs de l’aurore. Les auteurs Ovide et Pline l’Ancien réinterprètent la renaissance du phénix en le faisant s’immoler sur un nid d’encens.


Une petite statuette de griffon est présentée et c’est l’occasion de se pencher sur cette animal fantastique. Plusieurs origines : l’Orient et certains éléments grecs sont visibles sur les productions de grands chaudrons votifs (le cou avec des écailles de serpent, le bouton sur la tête, le bec ouvert). Les griffons sont très souvent représenté sous forme de statuettes, de protomes (c’est un élément de décor en forme de buste d’homme ou d’animal), en fibules et en grand nombre atteste d’un caractère bénéfique et protecteur de la créature.


Lorsque ces animaux fantastiques ont un rôle de protection, ils sont souvent associés aux souverains. Par exemple, dans l’Antiquité proche-orientale et occidentale, les sphinx et les les griffons gardent les trônes alors que les dragons et les phénix protègent les empereurs et les impératrices en Extrême-Orient. Elles protègent le chef, et par ce biais, la communauté entière. Nous pouvons les retrouver sur les vêtements, en bijoux ou sur des objets de la vie quotidienne.




En étant les protecteurs des temples, ils sont placés aux portes et font ainsi barrage aux forces du chaos, du mal. Lorsqu’ils sont installés dans les nécropoles ou sur les tombes, ils veillent sur la frontière entre le monde des vivants et celui des morts.


L’animal gardien de tombe est appelé le zhenmushou 鎮墓獸, et est typique de la période Chŭ (481-221 avt. J.C). Il a une tête coiffé de bois de cerfs, sa langue est tirée et cernée de crocs. Il était placé dans les nécropoles et était tourné vers le défunt, pour veiller sur lui ou l’empêcher de nuire aux vivants, qui sait ?
Voici un autre exemple de zhenmushou de la dynastie Táng (618-907), qui les produit en terre cuite et prennent la forme d’un hybride farouche (tête de lion, pattes à sabots, des flammes et une tête grimaçante). Le visage de húrén (« barbus » et désignant les peuples vivants à l’Ouest de la Chine) incarne l’inconnu et le caractère surnaturel du gardien.




« Ô n’être qu’aboli le mystère du sphinx
Pour qui du clair-obscur l’âme est congédiée ! » (Stéphane Mallarmé, Sonnets, 1899)





Les animaux fantastiques peuvent aussi représenter les forces occultes du monde, les secrets de la sagesse universelle. Tel est le cas du poisson-chèvre qui vit dans l’Apsû (eaux primordiales mésopotamiennes). Un capricorne peut prendre la place de la chèvre et celui-ci est présent dans le ciel en compagnie des autres signes su zodiaque au 1er millénaire avt. J.C. Il est accompagné par le dragon ou le griffon. Ces animaux peuvent être retrouvés dans les livres de symboles ou les traités philosophico-magiques destinés aux initiés. Leurs formes complexes sont censées expliquer les mystères de la vie et peuvent être vues comme des signes que seul un magicien ou un poète peuvent interpréter.



La section suivante de l’exposition est consacrée aux… dragons !
« Celui qui regarde fixement », voilà ce que veut dire « dragon » en grec, et cela est une des caractéristiques du serpent. Les monstres et créatures reptiliennes sont très nombreux en peuplant les légendes dans tous les coins du monde. Autant malfaisant que bénéfique, ils sont l’incarnation du pouvoir aquatique : les eaux dormantes, le fleuve qui serpente, la tempête,… Aucune région du monde n’est épargnée : en passant du moushkhoushshou mésopotamien, du serpent arc-en-ciel de l’Afrique de l’Ouest ou de Quetzalcóatl mésoaméricain.

Quetzalcóatl signifie « serpent quetzal » en nahuatl, le quetzal étant un oiseau vert et rouge. C’est également le nom d’une divinité aztèque et une des incarnations du serpent à plume, adorée par plusieurs peuples mésoaméricains. Quetzalcóatl est un dieu créateur et civilisateur, il extrait l’humanité du sol. Il est né du ciel et de la terre, il favorise les récoltes en appelant la pluie et le vent. Il est également capable de parcourir l’espace et le temps et agit sur le calendrier, qu’il a révélé au genre humain.

Le dragon-serpent représenté sur l’aquarelle figurait sur l’une des porte nord de la ville de Babylone, dite la « Porte d’Ishtar », qui est de nos jours reconstituée au Vorderasiatisches Museum de Berlin. Ce serpent furieux, « mushkhushshou », a un corps couvert d’écailles et une tête de serpent, des pattes de lion à l’avant et des serres d’aigles à l’arrière. Il est le compagnon du grand dieu de Babylone prénommé Marduk.

Le dragon chinois est un hybride lui aussi reptilien. Il parcourt les cieux et les eaux avec sa perle magique et possède une longévité sans pareil. Maîtrisant les pluies et les forces naturelles , il est à la fois bénéfique et redoutable. Dans la culture chinoise, le dragon est une figure centrale parce qu’il est à la fois un génie populaire local, un personnage mythologique ou encore un emblème impérial.
Le rōng est un cousin du dragon chinois. Il serait le père légendaire des premiers Viēts et il donne son nom à certains lieux comme la baie d’Ha Long (Vinh Ha Long ou « descente des dragons »). Tout comme son cousin, il vit dans les eaux ou dans les nuages. Ses faveurs sont recherchées dans les régions soumises à la mousson parce qu’il est maître de la pluie. Ce dragon bienfaisant est associé au roi et est donc souvent représenté comme un emblème national.
L’apparence du dragon s’est petit à petit codifié dans l’art européen puis dans culture populaire. Par exemple, les ailes d’oiseau sont remplacées par celles de la chauve-souris ou la couleur verte qui va lui être associée. Ces deux exemples sont des changements qui s’opèrent pendant le Moyen-Âge. Au 20e siècle, sa silhouette va se confondre de plus en plus avec celle des dinosaures. De nos jours, nous retrouvons le dragon dans la fantasy qui est un genre littéraire et artistique caractérisé par la présence du surnaturel mais surtout de la magie.






« Eh bien, monsieur… je sais que les dragons sont éteints depuis des milliers d’année mais est-ce qu’ils le savent, eux ? « (Terry Pratchett, Les Annales du Disque-Monde, tome 8 : Au guet, 1898)


Élément que nous n’avons pas encore souligné, c’est que le plus souvent les animaux fantastiques vivent en dehors du monde civilisé et domestiqué. Régulièrement, ils vivent dans des zones où les humains ne s’aventurent que par obligation parce qu’elles sont dangereuses, sauvages et dans certains cas elles délimitent la fin du monde.
Les zones non peuplées, à la marge des civilisations sont les régions propices pour représenter les créatures fantastiques pendant l’Antiquité dans le Proche-Orient et l’Égypte. Il s’agit de zones inhospitalières composées de montagnes et de déserts, donnant une impression d’être à la frontière entre notre monde et celui de l’au-delà (monde des dieux, des morts ou des deux à la fois). Les cartographes attestent de leur présence à la surface du globe et dans les mers jusqu’au milieu du 19e siècle.
Cet au-delà terrifie parce qu’il est inconnu mais cela va évoluer un peu avec les grandes explorations de l’ère moderne et par la suite grâce à la mondialisation des connaissances et les licornes, les dragons et autres créatures fantastiques s’effacent progressivement de nos cartes géographiques.









Malgré cela, ils restent dans nos rêves, dans nos imaginaires et ils continuent d’incarner nos peurs et nos désirs. Ils restent tapis dans un recoin de notre inconscient, prêts à sortir à n’importe quel moment. Les animaux fantastiques nous servent à remettre en question l’ordre pré-établi de notre société en en incarnant une autre. D’ailleurs, n’oublions pas que pendant très longtemps et notamment durant le 16e et le 17e siècles, les cabinets de curiosités étaient remplis avec des os, des dents voire des corps entiers de ces créatures.







Cette tête momifiée de crocodile passait pour être la tête d’un dragon tué, en 1132, par Gilles de Chin, seigneur de Wasmes (à proximité de Mons en Belgique). Cette histoire est à l’origine des récits autour de saint Georges et du dragon de Mons. Il s’agit, de toute vraisemblance, d’un trophée de chasse ramené des Croisades. Durant le Moyen Âge, la légende côtoie facilement le réel et c’est ainsi que la tête du crocodile devient le symbole de la victoire du bien sur le mal.


Pendant une période, avoir un corps momifié de crocodile suspendu au plafond du cabinet de curiosité était indispensable pour faire partie des lieux incontournables à venir voir. En effet, cet animal était un mystère. Pourquoi ? Parce que dans l’épisode de l’Arche de Noé, le crocodile n’est pas cité comme une espèce étant sauvé. Mais alors, comment a-t-il pu survivre au Déluge ? Cela reste un mystère… et fait du crocodile un animal mystérieux…
La dent de narval exposée a été pendant très longtemps associée à la corne de la licorne. Il était dit que cette corne avait le pouvoir de purifier l’eau, émettant de petites bulles lorsque l’extrémité était plongée dans l’eau.

Nous évoquions un peu plus haut dans l’article, les frontières géographiques et de l’inconscient dans lequel se retranchent les créatures fantastiques. Et il peut aussi être considéré comme une autre frontière avec le réel.
Ces animaux peuvent ainsi être le reflet de nos rêves, ou plutôt de nos cauchemars ou représenter de violentes passions appelées hubris par les Grecs. L’hubris symbolise nos désirs inavouables, l’orgueil, la sauvagerie des humains. Ainsi les sphinges, les dragonnes ou les démones deviennent des représentations de la femme tentatrice et destinée à causer la perte de l’homme. Les mythes servaient à exprimer les combats intérieurs et la peur de l’autre avant le développement de la psychanalyse au cours du 20e siècle.
« Par la porte de corne
Les songes vrais
Le sphinx et la licorne
Et les cypress » (Charles Péguy, La Ballade du Cœur, 1911)












Une notion que l’exposition met aussi en avant concernant les animaux fantastique : leur ambiguïté. Parce qu’ils partagent à la fois des caractéristiques animales et parfois humaines, ils ne sont pas faciles à apprivoiser et peuvent être à le fois séduisants et dangereux. La représentation subversive de la créature peut mélanger l’humour et le questionnement politique. Encore une fois, avec leur hybridité, les licornes, les dragons et autres minotaures peuvent être l’expression d’une autre voie pour la société, une autre alternative.









L’existence des animaux fantastiques va être remise en question avec les grandes explorations terrestres et maritimes de l’époque moderne. Les savants de la Renaissance commencent à mettre en lumière les incohérences des récits mythologiques antiques ainsi que les témoignages plus récents des voyageurs disant avoir vus des licornes ou des dragons. Le siècle des Lumières met la science et la raison au cœur de ses préoccupations, rejetant par la même occasion les légendes et les superstitions. Le courant des Romantiques, quant à lui, exalte les sentiments de l’humain face aux mystères inexplicables.
L’art et la littérature vont redonner vie aux anciennes créatures fantastiques et aux mythes.
« Je désirais les dragons d’un désir profond. Bien sûr, dans mon corps timide, je ne souhaitais pas les avoir dans le voisinage. Mais le monde qui contenait même l’imagination de Fafnir était plus riche et plus beau, quel que soit le prix du péril » (J.R.R Tolkien, Du conte de fées, 1947)


Depuis la fin du 18e siècle, il y a un courant littéraire lié à la littérature gothique né en Grande-Bretagne, qui explore l’étrange et le fantastique dans ses recoins les plus sombres. Ce courant est le Romantique noir. Le public se délecte des créatures affreuses, combattues ou célébrées selon les circonstances.
C’est dans le spectacle que la représentation des animaux fantastiques se fait le plus spectaculaire. A base de décors antiques ou de costumes de monstres, les créations destinées à l’opéra préfigurent celles des nouveaux médias du 20e siècle (cinéma et les films d’animation)
Pourquoi y-a-t-il tant de licornes et de dragons ?
Pourquoi ces créatures de la nuit des temps sont encore présentes dans nos sociétés actuelles ?
Que disent-elles de nos peurs et de nos aspirations ?




Toutes ces questions sont intéressantes et reflètent une société qui gardent ces créatures fantastiques tout en remettant en cause leurs existences. Pourtant, elles sont extrêmement présentes dans les spectacles. Les représentations sont reproduites, multipliées, réécrites au fil des adaptations que chacun en fait, que se soit à travers les fictions ou les réseaux sociaux.
Sont-elles uniquement des stéréotypes ? Ou des produits de consommation et de divertissement ?
Plus que jamais, les créatures fantastiques expriment ce que la science ne peut faire. Elles représentent l’enchantement dont nous avons besoin au quotidien.
Que représentent ces animaux fantastiques que nous savons irréels ?
Le genre littéraire de la fantasy est né des désillusions de la modernité industrielle et interroge encore aujourd’hui les errements d’une société matérialiste et privée de ses croyances. La fantasy distille à nouveau en nous les légendes et les sortilèges, elle nous plonge dans un passé collectif et personnel, elle nous plonge dans le monde de l’enfance dont nous cultivons la nostalgie.



« La terre est neuve, la page est vierge, rien n’a encore été dit, la pure ivresse d’inventer se donne carrière : à bride abattue, en avant ! » (Julien Gracq, Nœuds de vie, édition posthume, 2021)
Vous voulez découvrir cette exposition sur les animaux fantastiques, vous avez jusqu’au 15 janvier 2024 pour vous rendre au Louvre-Lens
Voici le lien vers le site pour préparer au mieux votre venue : https://bit.ly/412wbmJ
A bientôt ppur de nouvelles découvertes ! 😊