Le cristal, tout un voyage !

Il y a quelques semaines, petite escapade parisienne avec une amie direction le musée du Moyen Âge ! Découverte des facettes du cristal qui nous a fait voyager dans tous les sens du terme, entre géographie, histoire et sciences 😊 Voici un petit florilège de ce qui est encore visible pour quelques jours.

Tout comme pour l’exposition sur l’artiste Marc Chagall à La Piscine de Roubaix (voici le lien vers l’article : https://danslespasdececile.blog/2023/12/29/le-cri-dun-artiste/)  je vais retranscrire le texte d’introduction à l’exposition réalisé par le musée. Il est clair et permet de comprendre l’approche de ce minéral.

« Merveille de la nature, le cristal de roche fascine par sa transparence et ses facettes diffractant la lumière. Il éveille la spiritualité alors même qu’il est matière. C’est ce paradoxe, sembler immatériel alors qu’il est matériel, qui explique qu’il soit, de manière universelle, un symbole de pureté et de sagesses.

Dès l’Antiquité, la compréhension des formes cristallines passionne les scientifiques. Le phénomène des cristaux de neige est associé au cristal et c’est Strabon, au 1er siècle avant notre ère, qui parle le premier de krystallos (« glace » en grec ancien). Au Moyen Âge en Occident, le terme quartz désigne tous les cristaux jusqu’à ce que Georgius Agricola au 16e siècle, en resserra la définition à la silice pure, dont la désignation varie selon la teinte ; le quartz hyalin transparent est le cristal de roche.

Sa beauté liée à la symbolique qu’il véhicule n’est pas étrangère au fait qu’il fascine l’artiste. Son premier geste esthétique est de choisir, dans la mesure où sa sculpture est extraordinairement difficile. »

On trouve le cristal de roche partout sur Terre et il en existe différentes variétés. Le quartz fantôme présente des effets de nuages alors qu’il s’agit de paillettes pour le quartz rutile.

Pendant des siècles, les textes antiques servent de supports aux scientifiques jusqu’à la remise en question du fait qu’il s’agisse d’eau gelée. L’étude scientifique des cristaux s’étoffe au 18e siècle avec Jean-Baptiste Romé de l’Isle.

La fascination pour le cristal de roche est présent dès l’époque paléolithique et cela se voit avec les objets taillés présents dans toutes les civilisations préhistoriques, même s’ils restent plus rares que les silex. Des bifaces en quartz sont arrivés jusqu’à nous ainsi qu’un ensemble de racloirs qui ont été retrouvés sous l’abri des rocheux des Merveilles, dans le Périgord.

Les plus belles pièces proviennent de l’époque appelée le Solutréen (24 000 – 20 000 ans avant le présent) comme les « feuilles de laurier », ou encore des armes datant du Néolithique. Pendant la Préhistoire, le cristal de roche est probablement un sujet d’interrogations ou de fascination avec peut-être une fonction symbolique.

Les artistes égyptiens utilisaient le cristal de roche pour des objets de luxe mais aussi pour intensifier le regard des personnages par des incrustations de quartz. A partir du Nouvel Empire, la production de vase en quartz décline au profit d’une production en albâtre, plus prestigieuse.

En Mésopotamie, se sont des outils et des lames retrouvés dans des contextes sacrés qui ont été découverts. La finesse des décors possible en gravant le cristal de roche en fait un matériau de prédilection pour la fabrication de sceaux.

La taille du cristal de roche se perfectionne avec le temps : taillé par percussion directe ou indirecte, poli, percé. Et les outils restent les mêmes depuis l’Antiquité : le touret, la scie, la bouterolle (outil avec une tête arrondie) et la pointe de diamant.

Ces objets en cristal de roche connaissent un essor important, particulièrement dans les mondes grec et romain. Nous allons les retrouver dans les sanctuaires : vases cultuels, figures humaines en ronde-bosse représentant des dignitaires ou des dieux(comme la statuette de la déesse Aphrodite en photo juste après).

Dans la seconde moitié du premier millénaire et autour de l’an 1000, trois pôles sortent du lot pour les créations cristallines : Constantinople, Bagdad et Le Caire. Les objets du début de la période islamique traversent les sphères religieuses autant que profanes, autant en Orient qu’en Occident. Certaines des œuvres deviendront de tels objets de fascination qu’elles finiront par être réemployées pour intégrer les grands trésors des églises.

Le cristal de roche est associé à la limpidité de l’air et de l’eau, ainsi cette pierre est jugée comme appropriée pour les talismans qui ont comme objectif d’invoquer la pluie.

Sans oublier les sculptures réalisées pendant le califat fatimide au 10e siècle dont les têtes de lion en sont un très bel exemple, et qui est considéré comme des œuvres d’art représentatives de la glyptique (c’est-à-dire l’art de graver sur des pierres fines) de l’Islam médiéval.

Cela peut aussi être des accessoires pour les sceptres ou les trônes, ou encore les globes qui représentent l’univers entre les mains des rois comme pour le Salvador Mundi. Le lion est d’ailleurs une figure récurrente lorsqu’il s’agit de représenter la royauté. Au Moyen Âge, le cristal de roche se retrouve également sur les bagues des dignitaires ecclésiastiques. De dimensions importantes, ces bagues sont portées sur des gants pendant les cérémonies. Le cristal de roche symbolise la pureté. Il devient une métaphore de la lumière divine lorsqu’il est sur les bâtons pastoraux.

L’archéologie funéraire, à l’époque mérovingienne (481-511) découvre des boules en cristal de roche qui semblent avoir été portées en pendeloques, des perles ou encore de petites représentations avec un symbole de résurrection (cigales).

A l’époque carolingienne (751-987), des plaques de quartz gravées ont été découvertes et nous révèlent de véritables tableaux et annoce la grande technique des sculpteurs de la Renaissance. Ces artistes graveurs sont très sensibles à la symbolique du crustal de roche et ils sont probablement actifs dans les ateliers des abbayes ainsi que les palais des rois carolingiens.

Le cristal de roche garde son importance à travers le Moyen Âge parce qu’il est considéré comme un symbole divin. C’est pour cette raison, qu’en plus d’avoir des centres de production, les abbayes et les églises vont se doter d’objets liturgiques et de reliquaires composé avec cette pierre sous diverses formes. Mais les cabochons vont être régulièrement utilisés parce qu’ils peuvent se placer sur les croix reliquaires, les autels. De plus, en fonction de l’emplacement des cabochons, la lumière ne se reflète pas de la même manière si c’est l’aurore ou le crépuscule : le rayon divin transperce le cristal de roche et met en lumière le contraste entre la transparence et la brillance du cristal de roche au contact d’autres métaux ou d’émaux précieux.

La photo représente ce que l’on appelle un Tau, qui est la canne du berger ancestral au Moyen Âge, tirant son nom de sa forme, en lettre T du grec.

Les reliquaires sont très importants dans le monde occidental médiéval. Les reliques conservées avaient un rayonnement important auprès des fidèles et elles témoignaient aussi de la vertu du saint. De nombreux trésors des églises ont été constitués autour des propriétés physiques et spirituelles du cristal de roche (abbaye Sainte-Foy de Conques, Oignies en Belgique) :  transparence qui permet de voir la relique, porteur d’une lumière propre conférant une aura divine à la relique. Il possède également un aspect grossissant permettant d’atteindre la lecture de l’objet dans le reliquaire. Les objets liturgiques tels que les croix reliquaires, les monstrances (en forme de cylindre de cristal, destiné à montrer l’hostie sacre aux fidèles), ou encore les reliquaires parlants sont constitués avec des éléments de quartz. Ces derniers sont anthropomorphiques, c’est-à-dire que par la forme qu’ils arborent, ils suggèrent la provenance des reliques (main-reliquaire, bras-reliquaire, buste-reliquaire, etc…)

Le monde liturgique est celui qui emploie probablement le plus le cristal de roche mais il ne faut pas mettre de côté le monde dit profane car nous pouvons retrouver le retrouver dans la vaisselle de luxe, et cela depuis l’Antiquité (skyphos et flacons qui ont été retrouvé à Cologne). Durant le Moyen Âge, il se retrouve sur les tables des prélats et des princes : gobelets, cuillères, coupes, aiguière en forme de dragon.

Pour cette époque, se sont les ateliers milanais, comme ceux de la famille Sarachi ou d’Ottavio Miseroni, qui sont réputés qui fournissent les tables princières. Catherine de Médicis est notamment une de leurs clientes avec des vases et des coffrets précieux.

L’Europe n’est pas le seul continent qui confère une importance au cristal de roche. Celui-ci a une dimension spirituelle à travers le monde. Des croyances y sont associés dans les Amériques notamment dans le monde précolombien. Les amérindiens ont sculptés des pointes de lances dans le cristal de roche. Pour les peuples amazoniens, le quartz est un symbole de pureté et de force.

En Inde, le quartz est reconnu pour avoir des vertus prophylactiques. On sculpte la représentation Dhavantari, qui est considéré comme un avatar secondaire du dieu Vishnu et est médecin des autres divinités du panthéon hindouiste.

La croyance autour de la guérison du cristal de roche, qui serait un récepteur de mémoire et véhicule de la purification est présente notamment dans le shamanisme.  En Occident, on le retrouve sous la forme de pendentifs ou d’amulettes portés par les femmes. Dans le monde islamique, on inscrit des sourates sur les objets en quartz pour les réciter lors d’événements éprouvants. Cette pratique est visible dans l’Antiquité, mais se poursuit pendant le Moyen Âge avec les plateaux d’échecs et de trictrac venus d’Orient sur lesquels on joue son destin.

Le quartz est également étroitement lié à la dimension divinatoire, faisant de lui un support privilégié pour les plateaux de jeux et les pions depuis le début de l’humanité.

Les pouvoirs magiques conférés au quartz se retrouvent dans toutes les productions artistiques, quel que soit le lieu de création.

« Voyez le cristal pur et limpide. Plus il reçoit de degré de lumière, plus la lumière se concentre en lui et plus il resplendit. Et la lumière peut en venir à se concentrer si abondamment en lui, qu’il en vienne à paraître entièrement lumière, à ne plus se distinguer de la lumière. Lorsqu’il en a reçu autant qu’il est capable d’en recevoir, il devient tout semblable à la lumière » (Jean de la Croix, La Vive Flamme d’amour [La Llama de Amor viva], 1584-1585)

Quittons la période médiévale pour entrer dans la Renaissance où le cristal de roche garde son importance et surtout le travail de celui-ci atteint un degré d’excellence inégalé jusqu’à présent. La réalisation d’intailles gravées de grands formats permet ensuite de les insérer dans des pièces d’orfèvrerie. En plus de ces objets de luxe, nous trouvons des crânes qui sont possédés par les familles princières. Les ateliers italiens sont une fois de plus parmi les meilleurs avec les ateliers d’Italie du Nord tels ceux de Valerio Belli et Giovanni Bernardi.

Les voyageurs du monde reviennent à la glace originelle de Strabon notamment avec les grandes explorations alpines et polaires qui ont lieu au 19e siècle et qui alimentent les créations littéraires et artistiques. Elles représentent les pôles, les hautes montagnes ou encore les glaciers féériques, qui deviennent les sujets des peintres romantiques tels que Caspar David Friedrich ou William Henry Barnard.

C’est dans ce contexte que George Sand écrit et publie Laura, Voyage dans le cristal le 1er janvier 1864. C’est une nouvelle fantastique qui va plonger le visiteur dans la science des minéraux affectionnés par l’auteur, avec pour décor le Muséum d’histoire naturelle, les voyages aux pôles ou dans des montagnes imaginaires. Il n’aura pas le même succès que Voyage au centre de la Terre de Jules Verne qui est publié à la fin de l’année 1864, en s’inspirant de George Sand.

Vers 1915, le critique d’art Maurice Raynal qualifie la production de Pablo Picasso et de Georges Braque de cubisme « crystal », soulignant par la même occasion la structure géométrique dans leur représentation du monde.

Les photographies oniriques de Brassaï font parties des plus célèbres exemples de ce qui est appelé les rêveries cristallines.

Les formes scientifiques se retrouvent dans le courant du Bauhaus, en Allemagne, avec les artistes tels que Man Ray, Alfred Ehrhard.

Sans oublier que de nombreux artistes vont être marqué par le crâne en cristal qui sera exposé au musée d’Ethnographie du Trocadéro à Paris.

Le cristal de riche va entrer dans le monde artistique aussi par le biais de la culture populaire 😊

La dernière section de l’exposition se trouve à l’étage et se concentre plus sur des créations contemporaines ainsi que l’aspect scientifique du cristal en tant que pierre minérale.

La fascination opérée par le cristal de roche reste inchangée depuis l’Antiquité parce qu’il incarne les différentes croyances de nombreuses civilisations. Il restera un objet de fascinations autant pour les artistes que pour les scientifiques.

Patrick Neu est né en Lorraine, pays du verre et du cristal. Il connait ainsi le monde du feu, du souffle et de la taille. Dès ses premières créations, Patrick Neu utilise le cristal de plomb et trouve son inspiration chez les maîtres anciens du Moyen Âge et de la Renaissance. Les œuvres réalisées avec ce cristal ne nécessitent pas de commentaires parce qu’elles invitent plus à la contemplation qu’à l’explication. Ainsi admirez la Couronne d’épines ; les verres noircis à la fumée et vagabondez dans un monde onirique.

Allez-vous reconnaître cette célèbre peinture ?

Indice ? Le cri 😉

Pour l’exposition au Musée de Cluny, Patric Neu s’est donné le défi de sculpter une danse macabre sur un cristal de roche. Cette œuvre joue doublement avec la notion du temps. D’un côté, la vanité de la danse macabre qui nous rappelle la brièveté de la vie ; et de l’autre le temps immémorial qui est celui de la Terre, représenté par le cristal de roche.

Cette danse macabre est mon coup de cœur de l’exposition.

D’autres artistes s’emparent du cristal de roche, c’est le cas de Maxime Rips et de sa coupe du Docteur Bastien…

… ou d’Alberto Giacometti

C’est sur ces mots que se termine notre voyage dans le cristal. J’espère qu’il vous a plu et vous a donné envie d’aller voir les œuvres in situ au Musée de Cluny.

Il ne vous reste plus que quelques jours pour le faire parce que l’exposition se termine le 14 janvier 2024.

Voici le lien vers le musée pour préparer votre venue : https://www.musee-moyenage.fr/visiter/informations-pratiques.html

A très vite pour de nouvelles découvertes ! 😊

Laisser un commentaire