En fin d’année 2023, l’association ANCOVART avait proposé une journée de formation sur le territoire de Haute-Santerre qui vient d’obtenir le label Pays d’Art et d’histoire. Un label décerné par le ministère de la Culture qui permet ensuite une mise en valeur du territoire à destination des habitants et des touristes (ateliers, expositions, conférences…) à travers le réseau national.
Rendez-vous à Péronne, mais pas l’Historial 😊
Nous avons découvert le circuit des fortifications avec notre collègue.


Nous démarrons avec le siège de 1536 réalisé par le duc de Nassau, qui est au service de Charles Quint, face à François Ier. Le sujet du siège : la succession du Milanais. Le duché est vacant depuis la mort de François II Sforza. Etant un fief impérial, il retourne à l’empereur, Charles Quint, qui doit nommer un nouveau duc. Avec le roi de France, chacun le veut pour leur fils respectif. Charles Quint entre en Provence et y rencontre la résistance des armées du connétable Anne de Montmorency. Tandis que le duc de Nassau attaque en Picardie, Péronne en particulier parce qu’elle ouvre la voie vers Paris.



Ce siège est une défaite pour le duc de Nassau qui quitte la ville début septembre. À la suite de cette résistance des troupes et des habitants en faveur du roi de France, François Ier va accorder des privilèges fiscaux et honorifiques à la ville de Péronne : exemption de la taille et droits de nouveaux-acquêts. La ville est affranchie du droit du franc-fief et du logement des gens de guerre. Dernier privilège accordé, le droit d’arborer le « P » couronné sur les armoiries.

La présentation nous permet de découvrir les différents éléments des fortifications encore présents dans le paysage : le glacis, la demi-lune et comprendre par la même occasion les points et zones stratégiques (porte de Paris, le faubourg de Bretagne et la zone nord qui est à la frontière avec le territoire de la famille des Habsbourg), sans oublier la défense naturelle qu’est la Somme. Les fortifications ont fait l’objet d’un projet de réaménagement en 1728.
Le fort Cabary est considéré comme un fort d’arrêt sur la ligne de communication, alors que les deux demi-lunes protègent l’ancien moulin Hametz. Celui-ci est également protégé par le « paté noyé » qui prend la forme d’une demi-lune et qui complète les bastions. Il est la cible d’attaques pendant le siège, l’arrivée en eau sera d’ailleurs même coupée pour stopper son alimentation.


Avant le conflit franco-prussien de 1870 ; les ingénieurs Cabary font l’état des lieux des fortifications de la ville de Péronne afin de mettre en place des restaurations et/ou des améliorations. Étant sur un point haut, tout comme le mont Saint-Quentin, sans être fortifié, le site du moulin sera utilisé par les Prussiens en pendant le conflit.
Afin de pouvoir s’ouvrir au commerce, les habitants vont adresser des pétitions à Napoléon III pour qu les fortifications soient démantelées parce qu’elles seraient bien moins utiles vu que la frontière a reculé après l’annexion du comté d’Artois au royaume de France (précédemment, elle se trouvait au niveau de Bapaume).




Il est temps de continuer notre chemin qui nous amène dans le secteur des fortifications au niveau du château (abritant l’Historial) et qui nous a permis de nous familiariser avec les traités et les changements de pouvoir.

Commençons avec le traité de Bretigny, signé le 8 mai 1360, au château de Brétigny (près de Chartres) entre les représentants des rois de France et d’Angleterre. Et c’est avec ce traité, que plusieurs territoires entrent dans le giron anglais : la Guyenne, la Gascogne, le Poitou, le Périgord, le Limousin, l’Angoumois et la Saintonge. C’est aussi la souveraineté de la ville de Calais, du comté de Ponthieu et celui du Guînes qui est transférée aux Anglais. Enfin, les terres du comté d’Armagnac (Agenais, Quercy, Rouergue, Bigorre et le comté de Gaure) ont désormais le roi d’Angleterre comme souverain. Avec ce traité, le royaume de France perd le quart de son territoire ! En échange, le roi Edouard III d’Angleterre renonce aux duchés de Normandie et de Touraine, aux comtés du Maine et d’Anjou et sa suzeraineté sur la Bretagne et les Flandres.

A Péronne, les habitants s’inquiètent de la venue du comte d’Eu parce que lorsqu’il est sur place il brûle place principale et le roi de France, en représailles, abattra le beffroi (qui sera à nouveau détruit en 1844 sans être jamais reconstruit). Une hypothèse est également avancée comme quoi les pierres auraient été utilisées pour réaliser les trottoirs.
Arrive ensuite un « changement de pouvoir » étant donné que la ville quitte le domaine royal pour entrer dans le giron des ducs de Bourgogne en 1418. La guerre civile entre Bourguignons et Armagnac fait rage jusqu’en 1435, année du traité d’Arras qui met fin au conflit et permet au duc Philippe le Bon et au roi de France Charles de se consacrer pleinement à leurs terres. Pourquoi ce traité est important pour le duc : en plus de faire amende honorable pour le meurtre du duc Jean Sans Peur, la Bourgogne récupère les villes de la Somme, position stratégique à la frontière des deux États.
Mais les changements continuent …
… Les armées de France et de Bourgogne se font face sur la Somme. Pendant que Louis XI et Charles le Téméraire négocient à Péronne, Louis XI soutient en sous-main une révolte des provinces belges bourguignonnes. Informé, Le Téméraire place Louis XI en résidence surveillée dans le château de Péronne (épisode raconté par Walter Scott dans Quentin Durward). Il oblige ensuite le roi à signer un traité qui abandonne notamment les villes de la Somme aux Bourguignons (ces villes de la Somme dont fait partie Péronne sont stratégique parce qu’elles constituent une ligne de défense sur la frontière entre les terres bourguignonnes et françaises). Louis XI fera annuler ce traité dès 1470 et reprend Péronne en 1477, après la mort du duc Charles le Téméraire.



Concernant le château lui-même (au niveau de l’entrée de l’historial, que nous avons admiré sous un beau ciel bleu) : le duc de Dammartin avait en charge la défense de cette partie de la ville, le donjon va être détruit et reconstruit avec un format carré. Pendant la Seconde Guerre mondiale, beaucoup d’éléments seront perdus sur la tour de droite au niveau de l’entrée. On peut le voir visuellement avec les joints qui ne sont pas de la même couleur que le reste. C’est aussi cela le patrimoine ! Des détails que les matériaux nous donnent et qui traverse les siècles 😉
De nos jours, les trois tours restantes sont sur la liste des Monuments historiques. Elles donnent au château un aspect défensif et médiéval, même si des modifications ont été apportées : ajout de fenêtres et de meurtrières, suppression des toits en poivrière.

Quittons l’espace des fortifications pour nous diriger vers la place d’armes.
Une très belle place constituée de façades aux influences diverses : influence médiévale avec la présence d’échauguettes et le gothique flamboyant ou encore l’influence Art Déco. Le dernier style est présent dû aux destructions liées à la Première Guerre mondiale et plus précisément la bataille de la Somme en 1916. La ville croule sous les obus et entraîne la destruction des façades et l’église Saint-Jean-Baptiste.



L’Hôtel de ville a été édifié en 1509 dans un style Renaissance. Il a été endommagé à plusieurs reprises notamment lors du siège de 1536. Il a été reconstruit à la demande de François Ier par le biais d’un crédit royal, d’où la présence de salamandres sur celui-ci, pour rappeler l’’intervention financière du roi.


Nous terminons notre tour des fortifications de Péronne avec la Porte de Bretagne.
Cette porte est un des accès permettant d’entrer dans la ville. Elle a été édifiée au début du 17e siècle. Dessus, nous pouvons remarquer la présence des armoiries de la ville avec deux griffons, la dite Pucelle qui se trouve au-dessus de la devise : « la ville jamais vaincue ». Elle est classée aux Monuments historiques depuis 1925 et sera restaurée en 1927.





La première étape de notre journée en Haute-Santerre est terminée. Après un moment convivial autour d’un bon repas, direction les étapes de l’après-midi : l’église d’Athies et l’abbatiale de Ham.
Commençons par Athies. Nom qui m’a fait sourire parce que j’ai grandi dans un village qui porte le même nom, mais situé dans le Pas-de-Calais. Ainsi pour le différencier de celui-ci on parle d’Athies-lez-Arras 😉
Nous découvrons l’édifice sous les rayons du soleil qui donne de très beaux effets sur la pierre, les photographes dont je fais partie étaient ravis 😊 Mais trêve de plaisanterie, partons à la découverte de l’édifice avec quelques éléments historiques.

Athies est une cité royale dès le 6e siècle. Radegonde est amenée ici pour y être élevée à partir de 530. Elle deviendra en 534 la quatrième épouse du roi de France Clotaire. Mais ce dernier tuera le frère de la reine, qui décida de quitter la Cour pour se réfugier à Noyon, ville dans laquelle elle sera consacrée diaconesse, avant d’aller fonder un couvent à Poitiers. Ville où elle restera jusqu’à sa mort (les vitraux et un autel secondaire lui sont consacrées).
L’église est datée du 12e siècle, et possède une grotte de Lourdes à proximité immédiate. L’église a été détruite à plusieurs reprises notamment par les Espagnols au 17e siècle, ou encore pendant la bataille de la Somme en 1916. Suite à cela, plusieurs reconstructions et restaurations ont lieu et lui donnent une silhouette « hybride » : le chœur et ses absides sont de style gothique, la nef est en néo-classique, le portail ouest est de style Renaissance alors que celui au sud-est de style roman.





Le portail sculpté roman est classé aux Monuments historiques depuis 1862. Celui-ci sera restauré au 19e siècle. L’iconographie représente la Nativité, la Fuite en Égypte. Aux pieds de Marie, une colombe est visible (mais attention, il faut trouver le bon angle pour la repérer 😉). Dans la première voussure, on reconnaît Davis, alors que les étapes de la vie du Christ dans la deuxième voussure, avec le massacre des Innocents. Et la troisième voussure abrite des animaux fantastiques !


Pas de panique, pour les novices du vocabulaire architectural, voici un schéma récapitulatif 😊

Il est temps de passer le pas de la porte et de découvrir ce que nous réserve l’intérieur de l’église habituellement fermée au public.
L’église est reconstruite entre 1929 et 1931, ce qui vous donne un indice sur le style que nous allons y retrouver à l’intérieur… c’est l’Art Déco, bien sûr !





L’architecte se prénomme Chaigne et les dessins du mobilier sont signés Marcel Poutaraud. La coupole en béton et verre est réalisée par l’atelier Godin. Une des caractéristique de l’Art Déco, c’est que tout est pris en charge jusqu’au mobilier, donnant ainsi une homogénéité au lieu (autre exemple que j’ai déjà pu mettre en avant sur le blog : la villa Cavrois à Croix, dans la métropole lilloise : https://danslespasdececile.blog/2019/03/13/une-famille-industrielle-du-nord/ ) pour les panneaux en bois, les blocs de verre, les mosaïques sur l’autel principal en béton armé, ainsi que les autels secondaires ou encore les éléments de vitrage.











Je vous disais que l’édifice est fermé au public. Mais pour découvrir in situ cette très belle église, profitez du printemps de l’Art Déco qui se déroule dans tous les Hauts-de-France pendant le mois d’avril et mai. Et surprise, l’église Notre-Dame de l’Assomption d’Athies a sa visite, le samedi 11 mai 2024. Voici le lien vers le programme du printemps 2024 (page 36 pour le territoire de Haute-Santerre : https://www.calameo.com/read/0048732464ce6577795f4 et surtout n’oubliez pas de réserver vos places !)



La dernière étape de la journée nous a amené devant Notre-Dame de la crypte à Ham. Elle appartenait à l’ancienne abbaye. De style roman, l’édifice a lui aussi eu son lot de destructions et reconstructions. Son intérieur s’est révélé à nous juste au moment où le soleil commençait à disparaître et nous a livré un jeu de lumière sur les pierres. Le décor intérieur nous fait plutôt penser au style baroque avec notamment le mobilier dans l’espace du chœur.








Mais le petit bijou de l’édifice se situe en sous-sol, pour cela, nous ressortons, faisons le tour du monument et nous nous rendons compte par la même occasion que celui-ci est sur plusieurs niveaux avant d’’arriver devant la porte qui nous mène à la crypte 😊
Celle-ci est classée au Monuments historiques tout comme les deux gisants qu’elle abrite. Il s’agit des gisants d’Odéon IV et de sa femme Isabelle de Béthencourt, qui étaient aux commandes de Ham au début du 12e siècle. Nous l’avons découverte dans le noir dû à un petit soucis technique au niveau de l’éclairage mais cela nous a mis dans une atmosphère plutôt sympathique.





C’est ainsi que se termine cette découverte du pays de Haute-Santerre fraîchement labelisé Pays d’Art et d’histoire.
A bientôt pour de nouvelles découvertes !