Nicolas Eeckman, artiste aux multiples inspirations

Direction le musée de Flandre pour ce nouvel article. En 2024, l’institution a choisi de mettre en avant un artiste peu connu du grand public : Nicolas Eeckman. Pourquoi choisir cet artiste ? Notamment pour mettre en avant une donation effectuée par la fille du peintre-graveur qui s’est réalisé en deux fois (en 2020 et 2023). Le musée de Flandre n’est pas le seul à avoir bénéficié d’une donation, ce fut également le cas du musée du dessin et de l’estampe originale à Gravelines, qui avait mis à l’honneur leur donation durant l’automne 2023.

L’artiste est né en 1889 à Bruxelles. Il passe sa jeunesse en Belgique, il y fera des études d’architecture, peignant et sculptant dans le même temps. Pendant la première Guerre mondiale, il séjourne aux Pays-Bas avant de s’installer en France après le conflit. La plus grande partie de sa carrière s’effectue à Paris où il décède en 1973.

Pendant la période où il séjourne aux Pays-Bas, son art sera fortement inspiré de l’artiste Vincent Van Gogh (qui séjourna avant lui dans le presbytère du pasteur Bart de Ligt à Neunen), des paysages du Brabant et de la population locale. Ces inspirations brabançonnes seront mises de côté lorsqu’il s’installera à Paris dès 1921. Il va y expérimenter plusieurs styles comme le cubisme (courant artistique du 20e siècle , dans lequel les sujets sont représentées sous des formes géométriques. Artistes représentatifs de ce courant : George Braque, Pablo Picasso) que nous pouvons apercevoir dans le tableau Le chasseur en hiver. D’ailleurs, en regardant le profil du chasseur, un autre courant artistique peut être associé : le futurisme (mouvement esthétique et littéraire du début du xxe s., essentiellement italien, mais aussi russe, fondé sur le refus du passéisme et sur l’adoption de notions clés du monde moderne :vitesse, machinisme, la civilisation urbaine. Artistes représentatifs du courant : Giacomo Balla, Carlo Carrà, Gino Severini, Luigi Russolo et Umberto Boccioni)

Un des tableaux exposés est une œuvre de jeunesse sur laquelle il a inscrit « Je reconnais avoir exécuté ce tableau en 1905 ». Il a 15ans lorsqu’il réalise Mer par temps calme.

Dans cette salle se trouve également un autoportrait de Nicolas Eeckman quand il a environ une trentaine d’années.  Celui-ci est positionné à côté du dessin à la plume représentant Don Quichotte, héros de l’auteur Miguel de Cervantes.  En regardant de plus près, nous nous rendons compte que c’est un Don quichotte fatigué et blessé qui est représenté. Notre artiste flamand se reconnaît volontiers dans ce personnage qui se donne l’objectif de redresser les torts de la société. Regardez le collier qui est plein de symboles et de détournements : l’agneau suspendu qui évoque celui du collier de l’ordre de la Toison d’or, ordre de chevalerie mis en place par les ducs de Bourgogne ; le moulin évoquant le combat imaginaire. Il y a même cette expression venue directement de l’épisode des moulins dans l’œuvre de Cervantes : se battre contre des moulins à vent. C’est-à-dire se battre contre des choses inutiles. A mettre en parallèle avec Nicolas Eeckman qui lutte contre les courants artistiques de son époque, qui n’entre dans aucun d’entre eux ?

L’exposition met à disposition dans cette salle une table tactile, qui donne la possibilité d’en apprendre un peu plus sur l’artiste, sur son époque et les événements artistiques et historiques afin de vous permettre de faire un lien entre tout cela.

Après avoir fait un peu connaissance avec l’artiste et les différents éléments qui vont influencer son œuvre, direction la deuxième salle qui met en avant le lien évident entre celui-ci et les maîtres flamands qui l’ont précédé.

Ainsi, le visiteur habitué de l’œuvre de Brueghel ou Bosch retrouveront dans cette salle des éléments, des significations similaires.

Durant toute son existence, Nicolas Eeckman n’aura de cesse de faire référence aux maîtres flamands : il utilise la technique des Primitifs avec la peinture à l’huile, il peint sur un support bois, il prépare avec soin les différentes couches de son support et peint directement dans la cadre.

Les sujets sont autant de références : scènes de la vie quotidienne paysanne, le « petit peuple » avec la représentation de paysans à la carrure massive et des mains puissantes comme chez Pieter Brueghel l’Ancien. Mais les détails fantastiques vont quant à eux se référer à l’œuvre de Hieronymus Bosch.

La première œuvre que nous découvrons en entrant dans la salle, reprend la parabole des aveugles. La reproduction du tableau de Brueghel installée au niveau du cartel a résonné d’une manière particulière. Parce que le tableau avait été présenté pendant l’exposition Marguerite Yourcenar et la peinture flamande, en 2012. C’était mon entrée en tant que guide dans le musée de Flandre, il fait ainsi partie des premiers tableaux que j’ai présenté aux visiteurs 😊

Brueghel mettait en avant la bêtise des aveugles qui se suivaient pour finir dans un trou. Mais c’était aussi mettre en avant qu’être infirme était très mal vu au Moyen Âge. Ici, Nicolas Eeckman remplace les aveugles par des musiciens vagabonds évoquant par la même occasion « la zone », quartiers autour de Paris composés de bidonvilles.

Continuons avec l’inspiration de Brueghel avec ce tableau représentant des pêcheurs sur un bateau. Allez-vous trouver la référence présente chez Eeckman ?

Alors ?

Il s’agit des gros poissons qui sont en trin d’engloutir la barque des pêcheurs 😉 L’œuvre de Brueghel met en image l’un des proverbes flamands populaires : « Les gros poissons mangent les petits » qui n’est autre qu’une variante de « La loi du plus fort est toujours la meilleure ».

Ici, c’est rappeler que les marins pensent que la mer leur appartient, mais pour rétablir cet équilibre nous avons les poissons qui indiquent le contraire. Un juste retour de la nature…

Ensuite, vient le tableau qui est utilisé pour l’affiche de promotion de l’exposition, Poissons volants. Tableau peint en 1968.

Sur celui-ci, nous voyons au premier plan un poisson se faire attraper dans un filet avec en arrière-plan une foule. Foule qui fait référence à l’actualité politique de mai 1968 en France. D’ailleurs, le poisson prit dans le filet pourrait être une représentation des aspirations contrariées des contestataires.

Outre cette référence probable à la politique, d’autres peuvent être remarquées grâce aux détails. La mouche, par exemple, qui par sa méticulosité à être réalisé et sa petite taille démontre la virtuosité de l’artiste. Cette tradition se retrouve déjà au 15e siècle. Une référence plus récente et emprunté aux surréalistes (ce qui montre encore une fois que Nicolas Eeckman utilise les courants artistiques de son époque sans pour autant se classer dans l’un d’entre eux) : le cadavre exquis. Le principe est de réaliser de manière aléatoire un être humain ou un animal. Le plus souvent œuvre collective, les parties sont réalisées les unes après les autres par plusieurs personnes. Le résultat : des combinaisons parfois étranges et plus qu’improbables 😊

Ensuite, nous pouvons redécouvrir une œuvre issue de la donation faite au musée, qui est une encre sur papier intitulé A cheval sur un œuf. L’œuf possède une multitude de significations et symboliques dans l’art : une référence à l’alchimie (sa forme rappelle l’alambic), la coquille peut représenter la Terre (proverbe « Le monde est comme un œuf »). Mais lorsque celle-ci est percée, elle peut faire allusion à des naissances monstrueuses et c’est également l’emblème de la magie noire et du diable.

Tout comme Bosch avant lui, Notre artiste va le détourner pour devenir un chariot qui fait référence au tableau Concert dans l’œuf, représentant un œuf-bateau transportant des marginaux pour les éloigner de la société.

Continuons notre découverte avec le tableau qui permet d’ailleurs de faire fonctionner son ouïe dans le sens où quand nous regardons le tableau, nous arrivons tout de suite à imaginer les bruits qui pourraient en sortir : le tintement des grelots, les chiens, les sabots des chevaux, le bruit des voix…

Vous pouvez aussi y retrouver les poissons « à la Bruegel » (les poissons qui se font manger à la suite) ou encore d’autres détails comme la couleur bleue qui chez Bosch faisait référence à l’hypocrisie, la tromperie. Ou encore le motif de la poule dans la cage qui pourrait faire référence aux « tâteurs de poules » (Hennenstater en flamand, « les hommes de ménage «  est une autre expression utilisée pour les désigner au Moyen Âge) qui sont des hommes s’occupant des affaires de femmes ce qui était très mal vu à cette époque.

Sans oublier le motif des grelots, qui dans l’œuvre de Nicolas Eeckman, est associé à la folie.

Viennent ensuite une série d’œuvres qui ont tout de suite attirées lors de mon entrée de la salle et qui reflètent ma passion pour les créatures hybrides et les univers fantastiques (avec Hieronymus Bosch qui est dans le trio de tête 😊).

On y retrouve un clin d’œil à Bruegel également avec la présence du hibou. Oiseau utilisé par les oiseleurs pour attirer les autres oiseaux.

Le tableau intitulé Sortilèges représente une sorcière de profil accompagnée d’un oiseleur sur sa droite, reconnaissable parce qu’il porte une longue vue sur sa tête, mais surtout parce qu’il a dans la main un charbon qui symbolise son lien avec la sorcière. Nous retrouvons le hibou, animal important pour l’oiseleur comme évoqué un peu plus haut. Dans l’univers de Bosch, le hibou représente aussi la séduction, l’apparence prise par le diable pour représenter l’innocence et conduire les personnes inattentives à leur perte.

D’autres symboles pourraient être relevés : les clés (capacité à influer sur les événements, contrôler certains aspects de la vie, synonyme de mystères car elle permet d’accéder à des endroits cachés ou à des connaissances ésotériques, elle peut représenter l’engagement spirituel envers une pratique ou une croyance) le rouet ou encore a goutte.

Avant de quitter la pièce, dernières photographies d’autres œuvres dans la même veine fantastique peuple d’hybrides.

Une autre thématique qui entre en résonance avec les collections du musée : le carnaval et les masques. C’est l’objet d’une des salles de l’exposition.

L’artiste aimait beaucoup se déguiser et cela permet aussi de faire le lien avec l’influence d’un autre artiste, qui comme lui va expérimenter tout au long de sa carrière plusieurs styles artistiques. Il s’agir de l’artiste James Ensor, originaire d’Ostende.

Le carnaval est pour les deux artistes une sorte d’exutoire, un monde du lâcher-prise, un monde de masques masquant les relations humaines et leurs hypocrisies. Ce monde permet aussi de mettre en images les dérives de la société.

Une autre thématique traitée dans l’exposition s’intéresse au travail de portraitiste de Nicolas Eeckman. Sa femme sera régulièrement son modèle pour les portraits féminins, mais c’est aussi le cas de ses nièces et de ses filles. Les portraits seront soit à peints ou dessinés à la plume.

Le fantastique s’invite aussi dans les portraits comme celui de cette femme ailée.

La dernière séquence de l’exposition est dédiée à l’illustration de la légende de Till l’Espiègle. Dès 1933, il réalise des illustrations pour la littérature jeunesse, mais également la littérature adulte ainsi que des revues.

Mais qui est Till l’Espiègle ?

Till Ulenspiegel est un saltimbanque farceur issu du folklore allemand (La légende d’Ulenspiegel de Charles de Coster). L’auteur va adapter sa légende pour en faire un héro en Flandre au 16e siècle, qui était à l’époque sous domination espagnole.

Ce personnage intrépide, facétieux, généreux et anticonformiste avait tout pour plaire à Nicolas Eeckman, antimilitariste, pacifiste et défenseur des libertés.

Pour découvrir Nicolas Eeckman en tant que graveur, je vous invite à aller voir l’article que j’avais publié à propos de l’exposition réalisée en 2023 au musée de la gravure et de l’estampe originale à Gravelines. Réalisée à l’occasion de la donation par la fille de Nicolas Eeckman.

Voici le lien vers l’article : https://danslespasdececile.blog/2023/11/02/le-monde-grave-de-nicolas-eekman/

L’exposition au musée de Flandre Le monde fabuleux de Nicolas Eeckman est visible jusqu’au 8 septembre 2024. Voici le lien vers le site internet pour préparer sereinement votre venue à Cassel : https://museedeflandre.fr/venir-au-musee

A bientôt pour de nouvelles découvertes !  Je vous laisse avec la photographie de la palette de Nicolas Eeckman que vous pourrez découvrir en fin de visite.

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