Récits guerriers

Le musée Sandelin possède une riche collection d’œuvres japonaises. Afin de pouvoir en faire profiter un maximum les visiteurs, le fonds est régulièrement changé, par thématique. Le théâtre et les Bijin ont eu l’occasion de se montrer aux visiteurs. Si vous les avez ratés ou si vous voulez découvrir les estampes qui avaient été exposées, je vous invite à lire les articles que j’avais rédigés à leur propos :

Cette fois-ci, il s’agit d’estampes relatant des épisodes issus d’un classique de la littérature épique japonaise : Le Dit des Heike ou Heike monogatori.

Il s’agit du troisième volet de la trilogie, classique de la littérature médiévale japonaise. Les deux premiers volets sont intitulés : Le Dit de Hôgen et Le Dit de Heiji.  Excepté un court poème au tout début, le récit épique est écrit en prose. Cette trilogie relate des événements qui ont changé la donne au niveau de la structure politique et sociale au Japon au cours de la deuxième moitié du 12e siècle.

Que s’est-il passé pendant cette période ?

Deux clans de samouraïs (les Taïra ,ou Heike, et les Minamoto, ou Genji) s’affrontent pour une lutte de pouvoir détenu par le clan aristocratique des Fujiwara. Voici un résumé pour planter le décor du récit épique :

« L’histoire débute en 1147, époque brillante de la civilisation japonaise où deux groupes mènent le jeu politique : la Cour et notamment les Fujiwara d’un côté et les clans militaires dominés par les Heike et les Genji de l’autre. Ces derniers sont rivaux avant de se déclarer ennemis. Une révolution mène à l’éviction des Fujiwara et la naissance d’une classe féodale provinciale qui conteste le pouvoir central de la Ville. Les Heike prennent le pouvoir dans le second volet de la trilogie en 1160. Le Dit des Heike raconte leur règne sans partage pendant vingt ans jusqu’à la mort de Kiyomori, un être arrogant et consumé par la haine. Cet évènement entraîne le soulèvement des Genji dont le point culminant est la bataille de Dan-no-Ura en 1185. S’instaure alors un nouveau système politique : le gouvernement des shôguns de Kamakura au bénéfice des Genji. »

Chaque volet se concentre sur un personnage, permettant ainsi d’avancer dans la narration et d’avoir plusieurs points de vue : Taira no Kiyomori (arrogant, maléfique, sans pitié et consumé par la haine). Dans le deuxième volet, place au général Minamoto no Yoshinaka, pour laisser la place au général Minamoto no Yoshitsune dans la dernière partie, considéré comme un génie militaire et qui a été faussement accusé par son frère aîné.

Voici les deux estampes exposées, représentant le Palais des Heike, puis leur camp attaqué.

« Richement accoutrés et d’une manière plutôt cérémonieuse, deux chevaux indiquent qu’une rencontre ou un duel a lieu dans ces bois avec au minimum deux personnes. Trois drapeaux rouge flottants juste devant la maison nous poussent à croire au déroulement d’un entretien à huis clos et qui doit se dérouler dans le plus grand secret. »

Deux épisodes de combats sont ensuite présentés : le premier combat de la bataille d’Ichi-no-tani

« 

La bataille d’Ichi-no-Tani est l’une des batailles les plus célèbres de la guerre de Gempei, ceci étant en large partie dû aux combats individuels qui eurent lieu là. Benkei, probablement le plus célèbre de tous les sōhei (moines-guerriers), se battit aux côtés des Minamoto, et beaucoup des guerriers Taira les plus importants et les plus puissants étaient présents également. La mort du jeune Taira no Atsumori âgé de seize ans, des mains de Naozane Kumagai qui avait perdu un fils de cet âge, est un passage très célèbre du poème épique. Cet événement a été adapté dans le théâtre Nō et le Kabuki. La mort d’Atsumori est probablement l’un des combats singuliers les plus célèbres de toute l’histoire du Japon Cette bataille est également le dernier cas enregistré de siège japonais où furent utilisées des arbalètes. »

… les daims surpris par la charge de Yoshitsuné pendant la bataille d’Ichi-no-tani

Trois daims, deux mâles et une femelle fuient à l’approche de Yoshitsuné, qui cherche à prendre les Heike à revers. Remarqués par les Heike, Takéchi no Mushadokoro Kiyonori sortit des rangs : « Quoi que ce soit, rien qui vienne de chez l’ennemi de nous doit échapper ! » dit-il et il arrêta net à coups de flèches les deux daims, dédaignant la biche qu’il laissa courir. Le ci-devant Gouverneur d’Etchû : « Fi donc, Messire, vous abaisser à tirer des daims ! Avec l’une de ces flèches, vous pouviez tenir en respect dix ennemis ! Pour un meurtre inutile, gaspiller des flèches ! », l’admonesta-t-il. » (traduction de René Siffert, pp. 603-604, édition Verdier)

Les deux dernières estampes présentées, ont un format un peu différent que celui des précédentes. Elles sont longues et étroites, resserrant ainsi le cadrage des scènes. Leur particularité, c’est que ces deux estampes sont réalisées par des noms qui vous sont sûrement familier : la première est de Hokusai Katsushika, Le combat de Taira no Noritsune, gouverneur de Noto, contre Minamoto no Yoshitsune (bataille de Dan-no-Ura)

La bataille de Dan-no-Ura, en 1185, est l’apogée finale d’une longue série de combats et de guerres entre les Heike et Genji, marquant la victoire de ces derniers. Minamoto no Yoshitsune est souvent représenté sautant dans les airs dans une attitude dominatrice, pleine de force et de décision.

… et la deuxième est de Koryûsai Isoda, La courtisane Shizuta et Minamoto Yoshitsune

Cette estampe s’inspire de la vie légendaire de Minamoto no Yoshitsune (1159-1189). Sa vie tumultueuse s’achève par une mort héroïque qui inspiré une abondante littérature, faisant de lui un personnage mythique. Ici on voit Minamoto en habits militaires, faire ses adieux à la courtisane agenouillée près de lui. Les visages sont traités de la même façon, ce sont les costumes qui permettent de distinguer les personnages.

Ce récit épique possède plusieurs visées pour les lecteurs :

« La trilogie se lit comme une leçon de morale qui traite de l’attachement aux désirs temporels, un thème dans la pure tradition bouddhique. En dépit de la nature complexe et sanglante de la majeure partie de cette épopée, le thème primordial laisse à penser que la récitation visait à apaiser les âmes des guerriers tombés au combat, mais également à expliquer le changement de régime politique à la population. »

Des écrits et des estampes sont parvenues jusqu’à nous pour relater ces épisodes, mais cela ne fit pas toujours le cas et de nos jours, cela a encore évolué :

« A l’origine, ces récits de tradition orale sont colportés par des musiciens aveugles qui traversaient le pays en récitant ces poèmes accompagnés d’une sorte de luth (biwa), leur donnant le nom de « moines au biwa » (biwa hōshi). Ils sont depuis devenus une source quasi inépuisable pour les écrivains et il existe de nombreuses variantes écrites au cours des siècles. Le Dit des Heike a fourni le matériau de base de nombreux travaux artistiques, surtout des pièces de théâtre , de kabuki, et des ukiyo-e comme celles présentées ici. En effet, les peintres et graveurs se plaisent à représenter les apparitions inquiétantes de ces récits remplis de créatures fantastiques. Aujourd’hui, les diseurs ambulants ont été remplacés par d’interminables feuilletons télévisés. »

Profitez des ces estampes jusqu’au 12 novembre 2023, parce qu’ensuite, il y aura une rotation et de nouvelles estampes feront leur apparition sur les murs du cabinet asiatique.

Pour en savoir un peu plus sur l’estampe et ses techniques, voici le lien vers l’article que j’ai rédigé après avoir visite le musée de l’estampe à Gravelines : https://danslespasdececile.blog/2023/11/02/cest-quoi-une-estampe/

Et voici les liens vers les autres articles concernant les estampes japonaises du musée :

Et voici le lien vers le site du musée afin d’organiser au mieux votre venue : https://www.musees-saint-omer.fr/

A bientôt pour de nouvelles découvertes ! 😊

5 réflexions sur “Récits guerriers

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