Lors de mon passage pour l’exposition sur le graveur Nicolas Eekman au musée de l’estampe à Gravelines, j’ai eu le temps d’aller dans l’espace du sous-sol qui explique les différentes techniques de l’estampe. Je me suis dit que faire un article sur cette technique pouvait être intéressant afin de rafraîchir la mémoire à ceux qui connaissent et de donner des clés à ceux qui ne connaissent pas encore. Et aussi parce que je me rends compte que j’ai déjà écrit plusieurs articles sur les estampes japonaises du musée Sandelin sans expliquer la technique. Ainsi je rattrape mon oubli 😊
Le panneau introductif de l’espace est très bien fait, je vais ainsi juste vous remettre les différentes notions qui sont présentées sans changer les phrases 😉


Une estampe est une image imprimée. Le support de l’image peut être de toute nature : papier, carton, tissu, verre, métal… Elle a pour principale caractéristique de pouvoir être imprimée à plusieurs exemplaires. Chaque estampe est une épreuve. L’ensemble des épreuves constitue le tirage ou l’édition.
Comment est réalisée une estampe ? Un sujet est réalisé sur un support nommé la matrice, à l’aide d’outils ou de procédés physico-chimiques. La matrice est ensuite encrée puis imprimée sur un support de destination, le plus couramment du papier, au moyen d’une presse ou à la main. L’estampe est le résultat de l’impression. Selon la technique employée la matrice est en bois, en cuivre, en zinc, en linoléum, en pierre ou tout autre matériau né de la créativité de l’artiste. Le type de presse varie en fonction de la technique employée.
Bois gravé, eau-forte, lithographie ? Le procédé ou l’outil employé pour réaliser la matrice donne généralement son nom à la technique. A chaque technique correspond une méthode de travail singulière et des rendus graphiques différents. Supports, couleurs, tirages, temps d’exécution, rapport aux matériaux, possibilité d’expressions sont autant de facteurs qui déterminent le choix d’une technique.
Estampe ou gravure ? Estampe est un terme générique désignant toute image imprimée. La gravure est un sous-groupe qui désigne les techniques qui nécessitent d’ôter ou de pénétrer dans la matière de la matrice pour réaliser le sujet. Le bois gravé, l’eau-forte, le burin, la pointe sèche, l’aquatinte sont des gravures. La lithographie et la sérigraphie sont des estampes sans être des gravures car elles se travaillent sur la surface de la matrice. La gravure tire son origine de l’art de l’orfèvrerie mais est également historiquement liée à l’impression des textes suite à l’invention de l’imprimerie typographique en Europe au milieu du 15e siècle.
Le multiple ? Les estampes ont pour qualité essentielle de pouvoir être réalisées à un grand nombre d’exemplaires. Elles ont eu pour principale fonction la diffusion des idées au sortir du Moyen Âge et durant toute la période moderne jusqu’au 19e siècle, qui connaît le développement des journaux à large diffusion. L’apparition de la photographie, autre art du multiple, bouleversera le monde de l’estampe qui verra sa survie et connaîtra un essor nouveau en se tournant vers la création artistique. Leur statut d’œuvre d’art à destination d’un large public se renforcera, les artistes signant et numérotant chaque épreuve au crayon.
Qu’est-ce qu’une estampe originale ? L’originalité de l’œuvre est déterminée par les choix opérés par l’artiste à tous les stades de sa création. Depuis le 19e siècle, les techniques se multiplient et nécessitent que l’artiste s’entoure de spécialistes pour la réalisation physique de l’œuvre. La notion d’originalité implique une intention créatrice émanant de l’artiste et une réalisation qui réponde à son intention d’origine. Ainsi, notamment pour l’estampe ancienne, si la signature atteste de l’authenticité de l’œuvre, elle n’est pas indispensable pour attester de son originalité (Goya signe très peu souvent ses estampes)
Maintenant que vous êtes au point sur ce qu’est une estampe, direction les différentes sections qui présentent les techniques de l’estampe et de la gravure avec des exemples divers.
Commençons avec les procédés en relief. Cette technique consiste à dégager de la matière pour créer un motif qui restera en relief sur la matrice. Les parties creuses resteront en blanc lors de l’impression.

La gravure en relief se réalise généralement dans le bois (poirier, cerisier, pommier) alors que la linogravure, plus récente, permet de creuser avec souplesse dans des matériaux plus tendre (linoléum, caoutchouc, médium). Chaque matériau donne un nom différent à la technique : la xylographie (bois), la linogravure (linoléum)
« Sculpter est un acte très offensif, agressif. Il en va pareillement de ma xylographie et de ma linogravure » (Georg Baselitz)
La xylographie se pratique sur une planche taillée dans le sens des fibres de bois, de la hauteur de l’arbre. La zone du dessin est laissée intacte tandis que les fonds sont évidés. Le dessin en relief est encré soit au rouleau, avec une encre grasse et couvrante soit à la brosse avec une encre à l’eau, transparente.
La taille douce se pratique dans le métal (cuivre ou zinc) et parfois dans le plastique. Les tailles sont réalisées selon deux grands procédés :
- La taille directe à l’aide outil comme un buron ou une pointe sèche
- La taille indirecte au moyen de réactions physico-chimiques comme pour les techniques de l’eau-forte et de l’aquatinte.
La plaque est ensuite recouverte d’encre par l’imprimeur, s’employant à faire pénétrer l’encre dans les sillons creusés. L’excédent d’encre restée en surface est essuyé au moyen d’un chiffon de tarlatane. Lors de l’impression, le papier va chercher l’encre dans les sillons. La pression est effectuée entre deux rouleaux. Pour cette technique, plusieurs critères entrent en compte en plus de la matrice pour définir la qualité du tirage : la qualité de l’encrage, l’essuyage, le réglage de la pression, le choix du papier.



Les gravures sont toujours pleines de détails que j’aime particulièrement observer. Les gravures réalisées par les flamands font parties de mes préférées. Je vous mets ici les gravures d’après Brueghel le Vieux : La fête des fous, Le combat des tirelires et des coffres-forts








Sur les cartels des gravures, le plus souvent le premier nom est celui de l’éditeur et le deuxième correspond à l’artiste ayant réalisé le motif à imprimer.
Nous avons des informations sur Pieter Brueghel le Vieux. A partir de 1553 Hieronymus Cock devient son éditeur avec la maison d’édition « Aux quatre vents ». Il édite la série de gravures dédiée aux péchés capitaux qui sera gravée par Pieter Van der Heyden. Brueghel réalise les dessins à la plume qui sont extrêmement détaillés et laissant ainsi peu de place à l’interprétation du graveur. Le musée de Gravelines possède une épreuve du péché de l’envie dont voici quelques détails.





Autre technique : la pointe sèche. Contrairement au burin, cela nécessite une lenteur dans le geste car la pointe traduit la pensée du graveur instantanément. La pointe ne dégage pas de copeaux sur la matrice mais raye la plaque. Les petits bourrelés qui apparaissent le long du trait s’appellent les barbes. Ces barbes vont retenir l’encre pour enrichir et nuancer le trait lui-même.
« Avec la pointe sèche, je fais virevolter les traits, elle est souple, plus légère… (la pointe sèche est comme un flux et un reflux, elle est douée d’un mouvement rapide qui apparaît et disparaît). C’est comme une pointe aimantée qui convient aux dessinateurs. Tepolo jouait d’une main de maître avec cette pointe sur le cuivre comme si elle dansait » (Geneviève Asse)


La lithographie est la principale représentante des procédés à plat (l’autre étant le monotype). Cette technique remporte un vif succès auprès des dessinateurs et des peintres car elle offre une plus grande liberté, le travail sur la matrice ne nécessitant pas l’acquisition des techniques de gravure. L’artiste, en lithographie, dessine sur une pierre ou sur un zinc qui a été préparé chimiquement au préalable. La lithographie exploite le fait que le gras et l’eau se rejette. L’artiste dessine sur la pierre, préparée en amont, avec une matière grasse. L’étape suivante est une autre préparation : la pierre est rendue « amoureuse » avec une solution de gomme arabique et d’acide nitrique. Après le séchage, on efface le noir du dessin avec de l’essence de térébenthine : l’image disparaît et laisse seulement une trace grasse sur la matrice. Avant l’impression, la pierre lithographie est mouillé et maintenue humide, seules les parties grasses absorberont l’encre d’imprimerie grasse.
Voici une photo de la pierre lithographique et du résultat sur papier après le passage sous la presse.


« La pierre lithographique n’est aucunement creusée : elle a seulement la propriété singulière de s’imprégner en profondeur de ce qu’on lui confie en surface, de le conserver indéfiniment en mémoire, et de pouvoir le rendre au papier, sous la presse, dans une sorte, disons de baiser » (Francis Ponge)

La dernière section est réservée à une artiste coréenne Hyun JEUNG qui a réalisé une résidence d’artiste au musée en 2022. La thématique qui ressort de ses gravures est le temps suspendu et l’impermanence du vivant.
Chaque gravure se décline en variations et par épreuves uniques. Le motif est réinterprété et renouvelé à chaque épreuve. Cela peut varier avec la couleur, la superposition des formes, les décalages ou les retournements. C’est la feuille fraîche qui devient la matrice.
Un gros coup de cœur pour ces estampes poétiques, qui m’ont donné cette impression d’être hors du temps.




Voici le lien vers le site de l’artiste Hyun JEUNG : https://www.hyunjeung.com/
Et celui du musée pour préparer votre venue : https://www.ville-gravelines.fr/expotemp/02-%20PAGE%20WEB/05InfoPratique/InfoPratique.html
Voici plusieurs liens vers d’autres de mes articles concernant les estampes
- L’article Le monde gravé de Nicolas Eekman : exposition temporaire du musée de l’estampe de Gravelines visible jusqu’au 12 novembre 2023 : https://danslespasdececile.blog/2023/11/02/le-monde-grave-de-nicolas-eekman/
- L’article Récits guerriers au musée Sandelin visible jusqu’au 12 novembre 2023 : https://danslespasdececile.blog/2023/10/21/recits-guerriers/
- L’article L’art de l’estampe et les Bijin : https://danslespasdececile.blog/2020/06/03/lart-de-lestampe-et-les-bijin/
- L’article Kabuki ou No ? : https://danslespasdececile.blog/2020/03/18/kabuki-ou-no/
Voici le lien vers le musée Sandelin pour préparer votre venue et découvrir le fonds d’estampes japonaises : https://www.musees-saint-omer.fr/informations-pratiques/
A bientôt pour de nouvelles découvertes ! 😊
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