Goya fait un arrêt à Lille le temps d’une exposition. Le Palais des Beaux-arts de Lille met la lumière sur deux œuvres présentes dans ses collections : Les Jeunes et Les Vieilles. L’exposition permet d’entrer dans l’univers du maître espagnol tout en évoquant l’inspiration que celui-ci donne aux autres artistes. Des regards croisés, des interprétations, des copies, tout cela est présenté via les peintures ainsi que de la scénographie numérique.
« J’ai l’impression de naître à un autre monde » (Goya le 29 août 1781)
Le titre de l’exposition est « Expérience Goya » est c’est bien une expérience qui est proposé aux visiteurs. Comme un chemin initiatique qui permet de déambuler dans l’univers du maître espagnol tout en découvrant comment fonctionne la peinture : les inspirations, les motifs. C’est également l’occasion de découvrir comment un artiste continue d’influencer les autres artistes des années plus tard.
L’expérience commence avec une immersion dans l’œuvre de l’artiste via le numérique. Une introduction visuelle qui arrive après la lecture des éléments biographiques et artistiques relatifs à Francisco Goya.

Le début permet de découvrir un des artistes qui s’est réapproprié le travail de Goya : il s’agit du non moins Salvador Dalí 😊 et il s’attaque à une série d’œuvres Les Caprices qui seront également réinterprété par les frères Chapman, présents aussi dans l’exposition.

Les deux interprétations sont très colorées mais avec des points de vue très différents. Dalí décide de faire une relecture avec son œil d’artiste surréaliste, il veut mettre en avant les double-images qu’il pense percevoir dans les eaux-fortes (technique de gravure) réalisées par Goya plus d’un siècle et demi plus tôt.
Comment fait-il ? Il va coloriser les gravures, y ajouter des personnages ou des motifs pour arriver à un humour à connotation érotique. C’est aussi l’ambiguïté qui est mise à nu et que l’on retrouve dans les planches gravées ainsi que dans les deux tableaux que sont Les Jeunes et Les Vieilles.
Les frères Chapman quant à eux, décident de prendre à la lettre les principes de Goya pour leur réinterprétation des planches gravées : « la fantaisie sans la raison produit des monstres ». Les planches présentées sont ainsi peuplées par les êtres hybrides qui vint accentuer la perversion et la malice des personnages.





Mais que sont Les Caprices de Goya qui ont été réinterprétés par ces artistes ?
Cette série de 80 planches font suite à un tournant dans la vie personnelle de l’artiste. En effet, après une langue maladie, il est devenu profondément sourd. Cela le marqua profondément et changea son processus de création. Il va créer des œuvres donnant « libre court au caprice et à l’invention ». Tout étant très personnelles, elles mêlent des sujets assez sombres comme le cannibalisme, la sorcellerie. Elles aboutiront sur ce qui sera appelé « les peintures noires ». Elles ont été réalisées sur les murs de la Maison du Sourd (« Quint adel Sordo »). Peintures macabres avec comme point d’orgue une figure féminine en portrait grand format. Elles sont réalisées dix ans après la réalisation de l’œuvre Les Vieilles représentant deux femmes cadavériques. Atmosphère particulière pour Goya et sa famille qui vivaient quotidiennement entourés de ces peintures, qu’en pensez-vous ?

« Maintenant je ne crains plus les sorcières, ni les esprits, ni les fantômes, ni les géants fanfarons, ni les poltrons, ni les malandrins, ni aucune classe de corps, je ne crains rien ni personne excepté les humains… » (Goya, avant 1789)
« Dans le temps qui me resterait, je pourrai faire des choses de mon goût, perspective que je caresse le plus au monde » (Goya, le 2 juillet 1788)
Pour en revenir à la série Les Caprices, ces gravures dénoncent la face sombre de l’humanité. Visions qui ont sûrement eu la société espagnole de l’époque comme source d’inspiration. Le pays était troublé par le chômage, la criminalité et une hausse démographique.


L’autoportrait est un genre que Goya va pratiquer durant toute sa carrière : peintre courtisan dans une position élégante et ambitieuse, ou en homme sombre et vieillissant. Il peindra aussi des portraits de personnalités de son époque comme la neuvième marquise de Santa Cruz, Mariana Waldstein présentée dans l’exposition. Ainsi, Goya démontre qu’il maîtrise parfaitement les codes de représentation pour les portraits d’aristocrates : peinture en pied, paysage en fond permettant à la silhouette de se démarquer, costume traditionnel espagnol.
Ce costume traditionnel sera à nouveau représenté présent sur le tableau Les Jeunes ou Les Vieilles : basquine, long jupon, mantille, étole en soie et dentelle, éventail, escarpins. Il est également appelé le costume de la « maja », donnant une allure sophistiquée à celle portant le vêtement tout en reprenant les codes vestimentaires du « majismo », élaboré dans les classes populaires espagnoles au 18e siècle et reprit par l’aristocratie.
Ce qui permet par la même occasion d’évoquer le motif dans le processus de création des artistes. Chaque artiste va avoir ses motifs qu’ils reproduiront dans différentes œuvres au long de leur carrière. Cela peut-être un couple, des animaux, des motifs végétaux, un textile, une technique.
En plus du costume traditionnel, Goya possède d’autres motifs dans son répertoire comme la représentation des activités du peuple, qui permettent à la société de fonctionner comme le travail des lavandières qui s’occupent de nettoyer le linge.
Le parasol présent dans Les Jeunes l’est aussi dans un autre tableau connu de l’artiste intitulé Le Parasol. C’est un accessoire indispensable à Madrid et il est ainsi représenté régulièrement avec les figures féminines de la haute société. Accessoire indispensable pour se protéger et ainsi préserver une belle peau blanche, synonyme de richesse.

La lettre est souvent sujet au sujet amoureux. Elle peut être lue en secret, cachée à la hâte, posée sur un meuble. Dans tous les cas, elle évoque la correspondance qu’elle soit amoureuse ou non. Dès qu’une lettre est présente dans une œuvre, le spectateur donnerait tout pour pouvoir en connaître le contenu 😉
Sans oublier un animal qui est régulièrement présent dans les portraits de Goya : le chien. Symbole de fidélité, il est aussi utilisé pour représenter un côté lubrique en fonction de la position dans laquelle il est peint. C’est le cas dans le tableau Les Jeunes, la position du chien auprès de sa maîtresse a été perçue comme insistante mettant ainsi en avant l’interprétation du tableau comme une scène galante.
Tous les motifs qui viennent d’être évoqués sont présents sur Les Jeunes qu’il est temps de vous montrer si vous ne le connaissez pas encore 😉C’est une faveur possible dans l’article car sinon il faudra attendre la toute fin de l’exposition pour découvrir le tableau.

Le tableau a connu une histoire avec plusieurs noms qui lui ont été attribué : Femmes de Madrid en costume de maja, ensuite ce sera Les Jeunes ou Femmes lisant une lettre puis La lettre lorsqu’il sera associé au Temps (qui n’est autre que le tableau Les Vieilles)
L’origine du tableau n’est pas encore certaine, une commande ? une peinture réalisée pour lui-même ? la question demeure alors que son fils est en possession du tableau lorsqu’il est acheté en 1836 par la galerie espagnole de Louis-Philippe.

« Le grand mérite de Goya consiste à créer me monstrueux vraisemblable. Ses monstres sont nés viables, harmoniques. Nul n’a osé plus que lui dans le sens de l’absurde possible. » (Charles Baudelaire, Quelques caricaturistes étrangers, 1868)
« Le tableau de la Vieille coquette : cette antique momie qui mire sa face de chouette, aux attraits crochus et ravagés, ses châssis et ses fards dans le miroir de la flagornerie, sous les ailes de poussière du Temps inévitable, est un outrage furibond, une vengeance d’amoureux mal guéri des blessures des belles et trop souvent berne pour elles. » (Louis Guillet à l’Académie Française, 1938)

Deux dessins du Louvre sont exposés et sont issus de L’Album D représentant des vieilles femmes ainsi que des sorcières. Le personnage de la vieille femme est ainsi régulièrement présent dans l’œuvre de l’artiste. Ne serait-ce pas une dénonciation de la « diabolisation systématique des femmes qui sont autant de victimes des croyances superstitieuses et de l’Inquisition qui voit le démon en chacune d’elles ? »
Vu sous cet angle, les deux dessins peuvent avoir une interprétation différente : le premier dessin ne serait-il pas en train de faire référence à une femme ayant perdu la raison à cause de la famine madrilène de 1811-1812, plutôt qu’une sorcière mangeant un bébé ? et le deuxième dessin représenterait-il peut-être une vieille femme songeant encore au mariage et non pas la sénilité ?


« Je n’ai ni la vue, ni la force, ni plume, ni encirer, tout me manque sauf la volonté » (Goya, 1825)
« A propos des Désastres de la guerre : « Ce ne sont que des pendus, tas de morts qu’on dépouille, femmes qu’on viole, blessés qu’on emporte, prisonniers qu’on fusille, couvents qu’on dévalise, populations qui s’enfuient, familles réduites à la mendicité, patriotes qu’on étrangle, tout cela traité avec ces ajustements fantastiques et ces tournures exorbitantes qui feraient croire à une invasion de Tartares au 14e siècle » » (Théophile Gautier, Voyage en Espagne, 1843).


Tout comme pour le tableau Les Jeunes, Les Vieilles ont aussi le droit à un décryptage avec la présentation des motifs présents dans d’autres œuvres de Goya.
Une miniature tenue dans la main. Il s’agit le plus souvent d’un portrait réalisé en miniature et qui peut être facilement transportable. Il peut avec le temps devenir un véritable miroir pour la personne qui voit son physique évoluer comme c’est peut-être le cas pour Les Vieilles.
D’ailleurs le miroir est aussi représenté dans les œuvres. Ce miroir dans Les Vieilles peut aussi faire référence à une autre iconographie très proche réalisé par Goya dans la série Les Caprices avec la vieille coquette qui se regarde dans le miroir. Mais contrairement à cette gravure où nous voyons le reflet de la coquette, le spectateur ne verra jamais le reflet des vieilles femmes.
Le Temps est également représenté à l’arrière du tableau. Cette figure allégorique est régulièrement reconnaissable car peinte avec un sablier ou une faux. Mais dans l’œuvre de Goya, elle est accompagnée d’un balai qui fait une référence directe au personnage de la sorcière. En effet, le balai sert à nettoyer le sol ou permettre aux sorcières de voler dans les airs.
Pour terminer, nous retrouvons un élément qui est aussi sur le tableau Les Jeunes qui est la mantille, élément vestimentaire du costume traditionnel espagnol évoqué plus tôt dans l’article.


« Les vivants sont charmants, et les morts sont affreux,
Oui ; – mais le ver un jour rongera ton œil creux,
Et comme un fruit gâté, superbe créature,
Ton beau corps ne sera que cendre et pourriture,
Et le mort outragé, se levant à demi,
Dira, le regard lourd d’avoir longtemps dormi :
« Dédaigneuse ! à ton tour tu donnes la nausée ;
Ta figure est déjà bleue et décomposée,
Tes parfums sont changés en fétides odeurs,
Et tu n’es qu’un ramas d’effroyables laideurs. » »
(Théophile Gautier, Revue des deux mondes, 1841)
Avant de terminer l’article, un aspect est important à mettre en avant : la démarche du musée pour les années à venir.
Le Palais des Beaux-arts avec cette exposition souhaitait mettre en pratique deux objectifs : maîtriser l’impact environnemental et avoir un impact social fort.
Les expositions temporaires font partie de l’identité d’un musée et ont un impact environnemental à ne pas négliger En effet, plusieurs facteurs sont à prendre en compte : le transport des œuvres, la création de décors éphémères (qui pour la plupart ne sont pas recyclés). Sans oublier l’aspect financier et humain pour créer une exposition sur plusieurs mois.
L’un des objectifs premiers du musée est la préservation des œuvres afin que les générations futures puissent aussi en profiter. Ainsi, pour « L’expérience Goya », le musée des Beaux-arts a choisi comme œuvres centrales deux œuvres de ses collections : Les Jeunes et Les Vieilles. De plus, afin de limiter les transports aériens, les prêts ont été réalisés auprès de structures européennes.
Pour encore réduite son impact sur l’environnement, le musée souhaite mettre en place une scénographie qui peut être recyclée pour les prochains événements ou expositions. Par exemple, le module dans l’atrium présentant l’artiste a été réalisé avec le souhait de pouvoir réutiliser 70% de la structure. L’important est de démonter et stocker dans les meilleures conditions ces éléments pour pouvoir les réutiliser dans un avenir proche.

Il était important de mettre en avant cette démarche qui permet de prendre encore plus en compte l’impact que nous avons sur notre environnement. Doit-on le négliger, le dégrader juste pour pouvoir se divertir ? C’est une démarche de longue haleine qui demande un investissement ainsi que le changement des mentalités. Cela pourrait même devenir un atout pour les structures mettant en place cette démarche d’éco-responsabilité. A voir dans l’avenir ce qui pourra ou non être mis en place.
Voici le lien vers le Palais des Beaux-arts pour préparer votre visite. Un conseil, réserver votre billet et armez-vous de patience pour entrer dans le musée 😉
https://pba.lille.fr/Agenda/EXPERIENCE-GOYA2
A plus tard pour de nouveaux articles !